Ian Baverstock, fondateur et ex-CEO de Kuju, en est aujourd'hui convaincu : c'est bien le PC qui domine la scène du jeu vidéo. Bien plus discret que les consoles en terme de publicité et de présence médiatique (à cause du fait qu'il prenne de multiple formes et ne soit pas conventionnel), il porte pourtant le marché du gaming de manière constante, et il y a de bonnes raisons à cela. Retour sur la conférence éclairée d'un programmeur vétéran.

Je ne crois que ce que je vois.

Si l'économie du jeu PC est l'une des plus dynamiques, si son public est aussi varié que les formes qu'il peut prendre, cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas eu ses moments sombres. Au début des années 2000, le marché du jeu en boîte vacille, l'accès de plus en plus facile aux graveurs CD/DVD ainsi qu'à un débit Internet bon marché favorisent le piratage et l'échange de jeux. C'est le marché du dématérialisé, essentiellement porté par Steam dès 2003, qui sauvera durablement le gaming sur PC (rappellez vous qu'à l'époque, beaucoup disaient qu'il allait le tuer!). Révolution mal anticipée, longtemps improvisée et encore en pleine maturation, ce système devenu la norme et longtemps seul apanage du PC a permis rapidement de faire des économies substantielles en terme de stocks, frais de ports et autres délais, tout en rendant plus aisée la lutte contre le piratage. Les concurrents de Steam, comme les plateformes Desura ou GoG, représentent une part de marché microscopique mais ont une très grande marge de progression, offrant un angle d'attaque moins conventionnel, et étant souvent soutenus par des joueurs plus impliqués dans le développement et la promotion des jeux qu'ils proposent.

Si les consoles essayent aujourd'hui de rattraper leur retard dans le domaine, il ne faut pas oublier que le marché du jeu dématérialisé sur PC est un des seuls qui soit ouvert et non régulé, permettant à tout un chacun de lancer son propre projet, même à contre-courant, même avec un budget ridicule. Nous reviendrons sur ce point essentiel dans la deuxième partie de ce dossier.

Il reste malgré tout des évolutions possibles sur le sujet, et il s'agirait tout d'abord pour le PC d'élargir son public, afin d'aller au-delà de son noyau dur que sont les joueurs hardcore et le public indie. Souvent plus cher, plus complexe aussi avec son système d'exploitation et ses composants, le PC fait peur à une frange de la population moins à l'aise avec les nouvelles technologies, qui aura moins de mal à se tourner vers une WiiU. Espoir notable dans le domaine, il se généralise via les plateformes comme Steam et grâce aux packs de type Humble Bundle un véritable phénomène de collection, appellé bulk consumption, dont le principe réside dans le fait d'acheter énormément de jeux sans forcément les installer immédiatement, afin de pouvoir passer de longues heures à consommer du gaming de manière ponctuelle. Absolument pas prémédité par les éditeurs, ce phénomène pourrait encore se généraliser avec une meilleure promotion cross platform, secteur dominé par Apple, et c'est justement un défi que s'est lancé Steam avec comme pierre angulaire son offre de Streaming local. Mais le e-commerce n'est pas la seule force ni la seule perspective du jeu PC, loin s'en faut, l'objectif étant également de se rapprocher du joueur.

Commerce de proximité

Et c'est bien l'un des domaines dans lequel le jeu sur PC pêche méchamment, à cause entre autres de la disparité du matériel et donc de la difficulté à toucher une cible précise. Fidéliser le consommateur est loin d'être évident, d'autant que le PC est bien moins connecté que ses concurrents comme les tablettes ou les smartphones. Rares sont les joueurs PC à ne pas posseder une console ou à ne pas jouer sur leur mobile. C'est là l'un des grands défis pour le marché PC selon Ian Baverstock. Il y a cependant plusieurs leviers pour faire bouger les choses, d'ailleurs les choses bougent déjà. Tout d'abord, le PC essaye de rattraper son retard dans le domaine du Free to Play, une révolution qu'il a raté. Ce marché lui permettrait d'une part de toucher une cible qui ne joue habituellement pas sur cette plateforme, et de plus lui promet une croissance non cannibale (l'expansion du marché du Free to Play n'entamera pas les recettes des autres jeux du secteur).

La notion déjà citée de jeu vu comme un service est aussi une composante essentielle à prendre en compte. En résumé, la date de sortie n'est plus la fin, c'est le commencement. Mises à jour, feedbacks, communautés actives, transparence pendant le développement sont des atouts forts et propres à ce marché qui peuvent mener à une fidélisation des joueurs. Le crowdfunding, comme la vente sur Steam de versions Alpha, permettent aussi d'impliquer les joueurs dans le processus de développement, et les rares écueils dans le domaine n'ont pas la capacité de briser la confiance qu'ont les joueurs dans le jeu PC. C'est d'ailleurs une autre de ses forces face aux consoles quand quelques bides commerciaux ou une communication ratée peuvent définitivement sceller le sort d'une machine de salon.

L'User Generated Content, le contenu utilisateur, que ce soient des Mods ou des cartes, a bien sûr un rôle indispensable à jouer dans l'avenir du gaming. Pour le fondateur de Kuju, il est aussi simple qu'essentiel de généraliser la possibilité de créer autour des jeux. Malheureusement beaucoup de studios peinent à laisser les joueurs prendre la main sur leurs licences. Le cas de Battlefield, pourtant, tend à prouver que cette solution est viable à long terme. Enfin, révolution des années 90 entretenant un marché de niche voué au PC, les platform models, ou jeux dédiés aux hobbies (conduite de train, pilotage), sont une autre corde que le PC a à son arc dans son combat pour l'hégémonie. Au-delà de ces points essentiels, il faut aussi parler de ce qui concrètement fait et fera la force du gaming PC dans le futur : l'innovation.

C'est la vraie vie?

De par la variété de ses composants et sa non-conventionnalité, le marché du PC a toujours été leader en terme d'UI (User Interface), et il le prouve aujourd'hui encore avec des projets comme l'Oculus Rift ou l'Eye Tracker de Steel Series. Quand vous achetez un PC, il n'a pas de date de péremption, pas de mort programmée. Le fait que vos composants soient remplacés par de plus puissants ne vous empêche pas, à moyen terme, de continuer à jouer dessus. C'est un point essentiel qui fait que les joueurs sont moins réticents à investir des sommes plus importantes. On saisit l'importance de cet élément alors que la colère gronde actuellement suite aux rumeurs de la sortie d'une nouvelle console de salon Nintendo, ou qu'une compagnie comme Sega est morte en partie à cause de l'obsolescence trop rapide de ses machines.

Autre croisement avec la vie quotidienne : l'e-sport est le grand axe de progression du PC de demain. Créer plus de jeux plus variés qui soient formatés pour la compétition est essentiel, car le succès de Twitch montre le nombre croissant de joueurs qui aiment aussi être spectateurs. Dernière évolution, négative celle-là, l'apparition de magasins comme le Windows Store sous Windows 8 (copie de l'Apple Store dans son concept) est percue par Ian Baverstock comme un danger, verrouillant le marché et restreignant la créativité. Dans le domaine, cela dit, il y a peu à craindre, le succès de ces marchés en ligne restant encore à prouver. 

Quand on a demandé en conclusion à Mr Baverstock sa définition du PC, il a répondu tout simplement : "un PC est une machine qui permet d'aller au-delà du jeu qu'on vous propose. De mêler votre propre monde à celui qui vous est offert par les éditeurs, d'exprimer votre créativité afin d'en tirer une expérience complètement unique." Et c'est d'ailleurs là dessus qu'il a conclu sa conférence : "L'unique défi du PC, ce sera toujours d'aller au-delà du contenu." C'est ce qui, probablement, lui assurera toujours un avenir radieux. En êtes-vous vous aussi convaincu ?