Ce dossier est issu d'une collaboration entre Adrien Martel et Thomas Daveluy
Semi échec maintenant officiellement assumé, la WiiU marque un nouveau tournant dans l’histoire chaotique de Nintendo. La firme qui a ressuscité dans les années 80 le concept de “jeu vidéo de salon” des cendres encore fumantes d’Atari est aujourd’hui la cible privilégiée de ceux qui se revendiquent parfois comme les “hardcore gamers”, les vrais joueurs, par opposition aux seniors et aux occasionnels. Mais au-delà des batailles de clochers, doit on parler chez Big N d’une défaillance chronique ou de problèmes conjoncturels ? Entre regards sur le passé et réflexions sur l’avenir, analyse croisée de deux mordus de Nintendo.
Sommaire 1. Un peu d’histoire 2. La Wii, une “Révolution” ? 3. Les 3 péchés capitaux. 4. Quel avenir pour Nintendo ? 5. Pour conclure |
Un peu d’histoire
Les plus jeunes d'entre nous n'en ont peut être même jamais entendu parler, mais sans Nintendo il est fort possible que ni la Playstation ni même le jeu vidéo ne puissent exister encore de nos jours. A la fin des années 80, le concept (assez nouveau) de "Home Entertainment" est déjà en perte de vitesse à cause de la politique désastreuse d'Atari, alors seule aux commandes dans ce secteur. Après des pertes colossales en 1983 et l'abandon total de sa production de consoles en 1987, l'Amérique (et donc une partie du monde) considérera que le jeu vidéo, comme le disco, n'avait aucun avenir. On entendait à l'époque que le jeu de salon n'était qu'un effet de mode de plus, prêt à être enterré.
C'est à la même période (dès le début des années 80) que le fabriquant de cartes à jouer Nintendo se lance dans la grande aventure du vidéoludique, aventure qui l'amènera en quelques années à ressusciter un concept et à caracoler en tête des ventes partout dans le monde. La recette de la NES ne manque d’ailleurs pas d'audace : un concept révolutionnaire (la manette et surtout son pad directionnel), un hardware puissant (processeur 8 bits) inégalé à l'époque, ainsi qu'une politique stricte dans la sélection des jeux de son catalogue. Malgré l'arrivée rapide de la concurrence (par le biais de SEGA en premier lieu), Nintendo ne perdra jamais son statut global de leader, et sera même un des fossoyeurs de la firme au hérisson bleu. Dans les années 90 elle pose également les bases du jeu vidéo nomade, avec sa GameBoy révolutionnaire.
Avant les premiers doutes face à la MegaDrive et surtout les premières déconvenues (post-1996), sur une période ininterrompue de plus de dix ans, Nintendo est sans aucun doute LE géant du jeu vidéo de salon. Comment ce titan en est-il arrivé à être décrié et moqué aujourd’hui ? Les réponses sont multiples et varient avec le temps, même si le déclencheur sera la naissance de la Playstation.
L’histoire veut que Nintendo ait promis à Sony un partenariat visant à produire un support CD pour la Super Nintendo, puis que le constructeur japonais ait trahi Sony en traitant au final avec Phillips. Sony, laissé pour compte avec son prototype de console-CD, chercha à se venger de cet affront personnel en lançant la Playstation qui s’avèrera être la console la plus rentable de sa génération. Le retour de bâton est donc cruel pour Nintendo qui, gardant son système à cartouches pour la N64 (35 millions d’unités vendues), se verra voler ses parts de marché par un public qui a grandi et dont les goûts ont déjà changé (il se vendra 102 millions de Playstation). A partir de ce moment, la chute sera rapide. La GameCube (21 millions d’unités vendues, contre 25 millions de Xbox et 150 millions de Playstation 2) ne rattrapera jamais le retard de Big N sur ses concurrentes, pourvues de lecteurs DVD et d’un catalogue de jeux très fourni. En effet, Microsoft et Sony sont deux entreprises extrêmement solides et bien implantées, négociant sans peine des exclusivités. N’oublions pas par exemple que Final Fantasy VII aurait dû être un jeu N64 !
De leader incontesté, Nintendo passe en quelques années au statut de firme qui sort ses consoles en retard, et dont le catalogue, faiblard, est réservé aux fans des trois licences de la première heure. Suite à ce deuxième échec consécutif, Nintendo comprend que la course au hardware est perdue et revient à ses fondamentaux : le prix et l’innovation.
La Wii, une “Révolution” ?
Lorsque la Wii sort en 2006, la console dénote par ses caractéristiques techniques.
En réalité il s’agit d’une Game Cube à peine boostée, sans le support de la haute définition (ses concurrentes, comme la PS3 sortie quelques mois plus tard, afficheront des jeux en 1080p), avec une connectivité traditionnelle (Peritel/RCA), sans lecteur DVD (la PS3 est vendue comme le lecteur Blu-Ray le moins cher du marché, la Xbox 360 est vendue comme lecteur de HDDVD grâce à une extension, mais le format ne prit jamais son envol), mais joue l’ouverture en proposant en complément de nouveaux titres destinés à un plus large public.
En vérité Nintendo fait preuve d’une grande maturité en comprenant que la course à la puissance est terminée.
D’ailleurs il suffit de voir certains jeux comme Metroid Prime 3 pour être définitivement convaincu qu’un beau jeu n’est pas forcément fonction des performances de la machine. Au tout début, la console devait s’appeler la Révolution, tout un symbole ! La nouveauté passe surtout par son contrôleur : la Wiimote, permettant d’interagir d’une manière très intuitive dans les jeux grâce à la reconnaissance des mouvements, et la possibilité de pointer l’écran. Cette bonne idée sera d’ailleurs largement copiée par la suite par la concurrence.
La simplicité de la machine et le prix attractif du kit de développement (moins de 2.000$ contre 10.000$ pour celui de la PS3) ouvre la possibilité à de très nombreux studios de s’essayer à cette nouvelle console, la Wiimote offrant en plus de nouvelles interactions pour une programmation relativement simple.
Nintendo met en place un store (WiiWare) qui propose aux développeurs de jeux de toucher 65% des revenus directs (il leur faudra cependant dépasser un seuil de vente), une offre plutôt généreuse. Au final 300 jeux seront disponibles sur cette boutique en ligne.
La Wii, destinée au grand public comme aux joueurs confirmés, offrant de nouveau un catalogue de jeu étendu sera un véritable succès pour Nintendo qui enchaînera les records (Wii Sport est le jeu vidéo le plus vendu de tous les temps).
Et c’est là que la firme Japonaise va commettre sa plus grosse erreur : se satisfaire de cette réussite.
C’est que la Wii a bien des défauts, et que la faire durer plus de 6 ans, en plein passage de la HD et avec l’arrivée des jeux smartphones relève réellement d’un manque de prévoyance.
Durant ces 6 années, la Wiimote ne s’est vue dotée que d’un unique accessoire innovant : le Wii Motion Plus, qui faisait davantage office de correctif qu’autre chose. Pas de modification du haut-parleur de la manette (dont le son est vraiment horrible), aucun accessoire exploitant les ports USB de la console (qui n’auront finalement servi qu’aux pirates et aux bidouilleurs), aucun nouveau service digne de ce nom n’est arrivé non plus sur les chaînes de la Wii (les dernières mises à jour de la console ne proposeront d’ailleurs aucune évolution, seulement des correctifs).
Pour finir, à une époque où le côté social prend son envol, Nintendo ne publie absolument aucun jeu ni aucune chaîne sur sa console exploitant les fonctionnalités des réseaux - pourtant présentes techniquement dès le début. Dans le même genre, avant décembre 2013, il n’était pas possible pour les possesseurs de 3DS de lier leur compte Nintendo Network à leur console.
Si la Wii semble sonner comme une réussite incontestable, elle n’a fait que creuser un retard considérable pour Nintendo, tant techniquement que sur sa philosophie de jeu. Trop occupée à savourer la victoire de son concept, la firme Japonaise n’a fait qu'enchaîner les reboots refondus à la même sauce (la gamme “nouvelle façon de jouer” en est l’illustration absolue), ne s’adressant qu’aux fans de la première heure tout en s'éloignant de jour en jour du fondement même de son éthique : réinventer sans cesse. Elle manqua ainsi complètement la révolution qui avait alors lieu dans la société et sur Internet : la dimension sociale, le partage des expériences de jeu.
Une victoire, surtout dans le jeu vidéo, est toujours éphémère. La disparition des consoles d’Atari ou de SEGA, et de nombreux autres acteurs oubliés de cette industrie vidéoludique, en sont les témoignages éloquents. Dès lors, malgré sa léthargie, Nintendo finit par sentir sa Wii vieillissante et sort en 2012 une nouvelle machine dont le nom parle de lui même : WiiU. La firme Japonaise veut clairement surfer sur le succès de sa grande soeur.
Les développeurs qui ont reçu les premiers kits de développement font état d’une grande confusion chez Nintendo. Certains parlent même d’un vent de panique en interne tant les kits qui sortent au compte goutte sont instables, à moitié fonctionnels et changent du tout au tout régulièrement. Cela effrayera les éditeurs avant même la sortie officielle de la console.
L’accueil auprès du public est lui aussi désastreux : beaucoup ne comprennent même pas qu’il s’agit d’une nouvelle console, entre autres à cause du nom trop similaire.
Nintendo avoue officiellement son échec et son président choisit de diviser son salaire par deux pour apaiser les actionnaires. C’est dans ce contexte de doute que la firme Japonaise doit se remettre en question en se demandant quelles sont ses lacunes.
Les 3 péchés capitaux.
D'aucun pensent que, malgré son succès d’antan, Nintendo n’a jamais été bon en hardware, qu’il a toujours sacrifié à la création un vrai travail de réalisation. A la lumière des évènements passés et présents, d’un point de vue moins partisan, on peut cependant lister très clairement les 3 péchés capitaux de Nintendo pour tenter d’expliquer ses échecs.
Nintendo a loupé le virage des nouvelles technologies.
Si le retard important du passage à la HD peut s’expliquer par l’exploitation optimale du concept de la Wii, ou par des choix de rentabilité, difficile par contre de pardonner le décalage flagrant qu’il y a aujourd’hui entre la firme et la plupart des joueurs. Nous vous en parlions dans le paragraphe précédent, Big N n’a jamais su saisir l’importance des réseaux sociaux dans le monde vidéoludique actuel, se privant d’une connexion Facebook, Twitter ou Twitch aujourd’hui devenue monnaie courante. Évidemment, ce choix (ou non choix) peut s’expliquer par le fait que les réseaux sociaux sont différents en Asie et dans le reste du monde (je reviendrais sur ce clivage), et que les intégrer tous était impossible. La solution choisie pour le moment a été pour Nintendo de créer son propre réseau social, MiiVerse, ce qui à défaut d’être un solution pourrait bien être un pas de plus vers l’isolement du reste de l’industrie.
La communication actuelle de la firme sur ces réseaux, encore balbutiante, est surtout renversante de naïveté. Comme coincé au début des années 2000, Nintendo poste sur Google + des vidéos sans titres ni texte, et présente ses sorties dans des “Nintendo Direct” à la limite du ridicule. En Europe par exemple, ces vidéos (terriblement longues) sont présentées par les responsables (Japonais) de la firme sur notre continent. La présentation est récitée dans un anglais maladroit, comme un enfant lisant une poésie, et sous-titrée pour chaque pays. Question donc : qui aujourd’hui a encore le temps d’écouter un cadre rigide et vaguement bilingue balbutier pendant 30 minutes sur fond de trailers souvent déjà disponibles sur Youtube ?
Autre lacune, qui a presque coûté la tête de Nokia il y a quelques années : l’OS, ou Operating System, le système d’exploitation qui fait tourner votre console. Quand la norme console tend de plus en plus vers une forme de standardisation, de technologies répandues, parfois libres et surtout utilisées pour le monde du PC, Nintendo maintient envers et contre tout sa propre mouture. La WiiU garde donc cet obscur système propriétaire qui a fini par effrayer nombre d’éditeurs (seul UbiSoft a déclaré ouvertement soutenir la WiiU, les autres poids lourds restent muets ou ont carrément annoncé ne rien sortir sur ce système). Finies donc les portes ouvertes aux développeurs indépendants, finis les portages et autres adaptations, sortir un jeu sur la machine de Nintendo c’est devoir tout recalibrer afin de se plier à son format et ses contraintes techniques particulières, soit un gouffre en terme de temps et d’argent qu’il sera difficile de rentabiliser à cause des faibles ventes de la console. D’autre part, cet OS est horriblement lent, même sur une WiiU à jour. Naviguer dans les menus est tout sauf instantané, autre conséquence du développement en interne et du boycott de bibliothèques déjà existantes.
Le jeu Online, enfin, élément central dans de nombreux jeux vidéo modernes, n’a jamais été une priorité pour Nintendo qui a toujours proposé un service gratuit mais souvent instable. Le vrai symbole de ce désintérêt a été l’absence de prise Ethernet sur ses consoles récentes, qui se contentent du Wi-Fi (moins fiable et moins rapide). Si un adaptateur est vendu à part, il reste assez compliqué et coûteux de se le procurer.
Nintendo prend ses joueurs pour des ânes.
Si vous ne le saviez pas encore, voici le credo (entendu pendant presque 10 ans de la bouche de tous les communicants) qui a tué nombre de licences : “Nous avons voulu rendre ce jeu plus accessible aux nouveaux joueurs.” Je vous laisse ici quelques secondes pour chercher quel adolescent de votre entourage n’a jamais joué à un jeu vidéo. Big N, pourtant, est resté convaincu pendant bien trop longtemps qu’il existait encore une mine inexploitée de joueurs de 15 à 25 ans qui n’avaient jamais touché une manette. En ce sens, le mot d’ordre était qu’il fallait (encore plus avec l’ouverture de la Wii) calibrer les softs pour être le moins frustrant, le plus familial et amical possible. Alors que Sony et Microsoft bombardaient des licences “adultes” comme Assassin’s Creed, GTA, Tomb Raider et autres Halo, le Japonais pratiquait une politique de censure drastique en interdisant la sortie de certains titres. Pire, il a complètement saboté les blockbusters qu’étaient Super Mario, Mario RPG ou Mario Kart (pour ne citer qu’eux) en les simplifiant au possible, les rendant insipides, vides de sens, bourrés de bonus absolument surpuissants afin de ne pas rebuter ces fameux “nouveaux joueurs”. Si la firme semble faire machine arrière avec Super Mario 3D World, notons tout de même que dans ce jeu aussi, si vous perdez un certain nombre de fois, un bonus vous permettant de voler à l’infini vous sera proposé pour terminer le niveau sans forcer. Une insulte pour tous les joueurs en quête de challenge.
C’est un autre sujet particulièrement agaçant : Nintendo est le dernier éditeur à utiliser le facteur chance de manière massive dans ses jeux, là où les reste des éditeurs valorisent l’acharnement ou l’entraînement. Le boss final de Conquête Street Pass se bat en choisissant des options au hasard par exemple. De même, tout le monde sait que l’IA de Mario Kart triche, mais c’est aussi ça l’esprit Nintendo aujourd’hui : créer un gameplay hasardeux ou extrêmement difficile, puis vous proposer d’enfreindre toutes les règles avec des objets très puissants pour gagner.
Nintendo ne tient pas ses promesses : le syndrôme SEGA.
De nombreux analystes estiment aujourd’hui que ce qui a coûté la peau de l’excellente Dreamcast (et de la carrière de son fabricant dans les consoles de jeu) ce sont les errements du constructeur dans les années 90. Les fiasco enchaînés de la Game Gear, du Mega-CD, du 32X et de la Saturn ont provoqué une perte de confiance des potentiels acheteurs de la marque americano-japonaise. Les joueurs, lassés de dépenser des fortunes pour des consoles sans jeux et si vite obsolètes, ont finalement boudé la Dreamcast (pourtant une des meilleures de sa génération) et ont préféré attendre la sortie de la Playsation 2, scellant définitivement le sort de SEGA en tant que constructeur de consoles de jeu.
Cette histoire ne vous rappelle-t-elle rien ? Après avoir reconnu l’échec de la WiiU, Nintendo peine à démentir les rumeurs de nouveaux systèmes (le fameux “Projet Fusion”) un an et demie seulement après le lancement de sa console au Game Pad.
Voilà qui a de quoi donner grise mine aux possesseurs de WiiU, non seulement parce qu’on leur annonce déjà l’obsolescence de leur système, mais aussi parce que tout ce qu’on leur avait promis (Love Film, TVii, et toutes les fonctionnalités annexes de la consoles, annoncées pour l’Europe avant fin 2013) risque fort de leur passer sous le nez. De manière générale c’est une spécialité de la firme de promettre des extensions/accessoires, ou de proposer des ports et connectiques qui ne seront jamais ou peu exploités. La communication autour de la Wii, tout comme pour sa petite soeur, regorge d’effets d’annonces du genre. Alors, que le mystérieux Projet Fusion concerne une nouvelle console ou de nouveaux accessoires, dans tous les cas il semble déjà évident qu’il faille bientôt repasser à la caisse.
Autre similarité avec SEGA : Nintendo est le seul Pure Player de l’industrie vidéoludique. Si Microsoft peut compter sur son activité logicielle et ses nombreuses activités dans le domaine de l’informatique, et que Sony est un conglomérat regroupant des activités très diverses et variées dans de nombreux domaines d’activité… Nintendo est maintenant le seul acteur restant à ne faire que du jeu vidéo, ce qui peut fragiliser considérablement sa position en cas de trop nombreux échecs répétés.
Au final, si la différence de traitement entre les joueurs Japonais (qui ont des fonctionnalités supplémentaires, des exclusivités et beaucoup d’avance sur les sorties) et les autres (qui ne voient même pas arriver certains jeux, ou au mieux dans des versions non localisées) est l’un des points qui ressort le plus de ce constat, le fait que Nintendo soit japonais ne le condamne pas au purgatoire pour l’éternité. L’éditeur semble avoir pris conscience de certains de ses maux, mais est-il encore temps de changer la donne ?
Quel avenir pour Nintendo ?
Pour que Nintendo puisse espérer survivre il va lui falloir deux choses essentielles : de l’argent et des perspectives d’évolution.
L’aspect financier
Malgré la perte annoncée de 36 milliards de yens en 2012 (environ 252 millions d’euros), la firme Japonaise constitue l’une des entreprises les plus solides du monde d’un point de vue économique. Ses 900 milliards de yens en réserve (environ 6.3 milliards d’euros) font passer ses pertes pour un grain de sable.
En prime Nintendo ne possède aucune dette sur le long terme puisque ses fonds propres représentent 85% de son chiffre d’affaires. Il s’agit d’un chiffre hallucinant : une entreprise serait donnée comme prospère en ne possédant que 30% de celui-ci. En résumé, la firme peut assumer l’échec de dizaines de consoles sans avoir à s’inquiéter d’une éventuelle banqueroute !
Il faut donc comprendre que Nintendo vit sur une autre planète économique que ses concurrents, qui se remettraient beaucoup plus difficilement d’un échec commercial.
Par ailleurs les consoles portables constituent une très bonne manne financière pour l’entreprise : les DS, 3DS et 2DS ont la côte auprès du public et restent dans une situation de quasi monopole.
Si l’aspect financier n’est en rien un souci, c’est sur les choix stratégiques concernant l’avenir que Nintendo doit réellement se pencher.
Les jeux
Nintendo possède un catalogue de licences cultes réellement jalousé par ses concurrents. De ce fait, même sans nouvelles licences, le japonais peut compter sur les incontournables Mario, Zelda, Metroid, Starfox et autres qui seront pratiquement à coup sûr des hits lors de leurs sorties, d’autant que les versions précédentes de ces opus ont pratiquement toujours été d’excellents jeux. Malgré les reproches que l’on peut leur faire sur ces séries à rallonges, Nintendo a souvent prouvé qu’il savait radicalement changer le gameplay d’un opus à l’autre (la série Metroid Prime avec un passage de la 2D à un FPS en est un excellent exemple).
Nintendo a déjà prouvé par le passé qu’il savait (ré)inventer de nouveaux jeux. Pikmin (2001) en est l’illustration : cette licence définit à elle toute seule un nouveau genre de jeu de stratégie. Idem pour Wii Sport ou Wii Fit, certes adaptés pour promouvoir la Wii, mais qui ont fait figure de précurseurs et ont grandement contribué au succès de la console.
La WiiU
Le hardware exotique de la console n’est pas forcément une mauvaise chose. Sans rentrer dans les détails, malgré une puissance inférieure à ses concurrentes, elle propose certaines qualités qui peuvent réellement la placer dans la course. Entre autres, le système d’exploitation de la console tourne sur un petit processeur à part, permettant aux jeux d’utiliser l’intégralité de la puissance de la WiiU, même lors de mises à jour en arrière plan.
Le vrai souci vient donc du software. Il faut absolument que Nintendo fasse des mises à jour importantes, d’une part pour optimiser un OS d’une lenteur incroyable et d’autre part pour proposer des outils de développement moins obscurs.
L’arrivée de Miiverse, le réseau social de Nintendo, a donné aux joueurs la possibilité de partager sur les réseaux sociaux les plus populaires, mais l’opération reste laborieuse, loin d’être aussi intuitive que chez ses concurrents. Même si le réseau de Nintendo est très bon sur bien des points (il est possible de l’utiliser pour s’échanger des conseils entre joueurs durant les phases de jeu), il reste très éloigné des réseaux les plus populaires et vit donc presque en autarcie.
Concernant Twitch, la plateforme est supportée par le navigateur de la WiiU depuis quelques temps. Cependant, impossible de streamer un jeu sans passer par un boitier externe. En somme, il y a encore du chemin...
Ceci dit, il ne faut pas trop espérer non plus, la conception particulière de la WiiU sur le plan technique ne permettra pas non plus de totalement redéfinir le support logiciel.
Si Nintendo sort une nouvelle console pour remplacer la WiiU, ils risquent très fortement de tomber dans le syndrôme SEGA. Nous en parlions dans la partie 3, mais comment ne pas s’attirer l’ire des joueurs si la console dans laquelle ils ont investi est presque immédiatement remplacée par une autre, sans jeux, à peine deux ans après ? De ce fait, Nintendo doit trouver une solution pour relancer la WiiU et non la remplacer par une autre console qui subirait probablement un sort identique.
La communication
Nintendo doit absolument revoir sa stratégie de communication pour s’adapter aux changements de ces dernières années. Une vraie présence sur les réseaux sociaux, des événements ou coups de pub ciblés pourraient remonter l’image d’une entreprise qui fait aujourd’hui office de dinosaure. La manière de présenter ses nouveaux produits, très japonaise, manque cruellement de ce qui séduit en occident : l’effet de show. Il suffit de comparer comment la WiiU a été présentée et comment ses deux concurrentes ont été révélées pour comprendre pourquoi elle est passée inaperçue auprès du public.
Proposer un programme de fidélisation digne de ce nom serait réellement bénéfique et inciterait de nouveaux joueurs à venir. Il faut que la firme japonaise encourage et récompense d’avantage ceux qui achètent régulièrement ses jeux. Actuellement, le système de points Nintendo est une farce absolue : il faut pratiquement acheter 3 consoles et 15 jeux pour espérer recevoir une figurine de 10 centimètres de haut.
Un système complet de récompenses (skills), comme ce qui est proposé avec les badges et les niveaux sous Steam par exemple, serait aussi réellement le bienvenu et inciterait les gens à acheter des jeux ou du matériel.
La partie est loin d’être perdue pour Nintendo qui possède des moyens financiers énormes. Il ne fut pas oublier que Nintendo n’est pas à son premier coup d’essai et jouit d’une très grande expérience dans le milieu. Malgré ces lacunes, la firme sait toujours faire des jeux et des consoles, sans aucun doute avec bien plus d’expérience que ses concurrents. Il faut toutefois que la firme fasse un gros effort de remise en question et d’analyse du contexte actuel, notamment sur le milieu du jeu vidéo et ses envies aujourd’hui si elle ne veut pas se faire piéger.
Malheureusement, les annonces officielles, bien que très vagues et parfois contradictoires évoquent un virage plus forcé vers des jeux santé, bien être et famille. Rien sur un retour aux jeux plus matures ou sur les différents points évoqués ci-dessus.
Pour conclure
Si l’on doit retenir une leçon de ce grand voyage à travers le monde vidéoludique, c’est que le secteur est encore extrêmement jeune. A peine quatre décennies nous séparent de l’âge de pierre qu’étaient les pong vectoriels et autres bricolages électroniques. Quarante ans durant lesquels, plus d’une fois, tout a changé. Passage du joystick au pad, de la cartouche au CD puis au DVD, Internet, explosion du home et du mobile gaming, engouement pour les jeux PC… Personne ne peut prétendre détenir aujourd’hui la recette d’un succès garanti et pérenne dans ce milieu. Les déconvenues de Nintendo aujourd’hui, Microsoft comme Sony les ont déjà connues, que ce soit avec certains Windows ou la PS Vita. Insinuer que la mentalité du japonais est trop “nipponne” pour avoir un vrai succès à l’international, c’est oublier les coups de génie qu’a réalisé la firme à l’époque où les Américains eux-mêmes n’arrivaient plus à vendre leurs jeux.
Maintenant, une vraie question se pose : comment Nintendo se relèvera-t-il ? Va-t-il changer son fusil d’épaule, et donner à sa console de salon le brillant avenir de sa petite soeur portable ? Ou va-t-il, comme Warner, Atari et SEGA avant lui, considérer le milieu comme trop risqué, pour devenir un éditeur de jeux tiers consacrés au bien-être et au fitness ? La réponse ne devrait pas attendre l’année 2015, tant la situation du président Iwata Satoru est aujourd’hui précaire face aux actionnaires. Les sorties du mois de Mai devraient être un bon indicateur d’intention.
Commentaires
c'est marrant, mais l'auteur de l'article parle d'un échec à cause du nom de la console presque similaire, et pourtant quand on regarde ses concurrents: PS1, PS2, PS3, PS4 et la prochaine sera forcément PS5
quand à microsoft : Xbox Xbox360 et XboxOne
donc le titre de la console n'est pas vraiment un facteur.
Pour la PS, y'a clairement une scission qui se fait par l'usage des nombres. Personne n'aurait à l'idée que "PS4" puisse être un accessoire pour "PS3".
Que ça soit pour Microsoft comme pour Sony, toutes leurs consoles se sont toujours appelées pareil, donc le jour où on annonce la "Xbox XXXXXX", quel que soit le XXXXX tout le monde se dira "c'est la remplaçante".
Pour Nintendo, non. C'était la première fois qu'ils sortaient une "Wii 2", et ils lui ont juste collé un "U" cryptique en prime. De plus les deux consoles (mises à plat) ont absolument la même tête, du coup tout le monde pense que "Wii U" est en fait le gamepad étrange avec un écran.
Je rejoins Ywen qui a très bien répondu : il y a une différence entre nommer ses consoles avec des numéros (ce qui aide à comprendre l'arrivée d'une nouvelle console avec un autre numéro, même s'il ne se suit pas forcément) et rajouter une lettre (énigmatique pour les non anglophones d'ailleurs) sur une console (la Wii) dont la particularité est de se doter d'accessoires.
Pas mal de gens ont cru que le "U" c'était le Game Pad rattaché à la Wii. La confusion n'aurait pas été aussi forte avec une Wii 2 ou une Wii HD, même si ces deux noms n'auraient sans doute pas été un franc succès tant Nintendo nous a habitués à nommer ses consoles de manière très différentes.
Par ailleurs, la charte graphique de la Wii et la Wii U sont les mêmes, ce qui entretient toujours cette confusion...
ben, du coup ce que vous dite rejoint un peut ce que je vient de dire, le nom n'est pas un facteur.
que se soit un simple U n'a jamais prouver que ce n'est pas une nouvelle console tout comme Xbox xxxx ou PSx
donc vos 2 argument sont totalement contradictoire à se que vous pensez
de plus, le U qui dit "c'est un accesoire pour la wii" c'est un peu débile vus qu'il y à le mot "wii" avant le U, c'est comme dire que le 4 est un accessoire pour la playstation
Et pourtant la manette de la Wii U se nomme bel et bien le "Wii U Game Pad", donc avec le nom de la console devant.
On peut conjecturer durant des heures sur le fait que nommer sa console Wii+U soit une bonne ou une mauvaise idée, les faits sont là et indiscutables. Même Nintendo a reconnu officiellement que le public n'avait pas compris qu'il s'agissait d'une nouvelle console.
Shelly Pearce (directrice de Nintendo UK) a même déclaré :
oui, mais la manette de la xbox one c'est bien la XboxOne gamepad
de plus ils ont reconnu cela dans le fait que les gens croient que c'est une console portable et non de salon, c'est pour ça qu'ils on parler de confusion (et non à cause du nom de la console)
Un article bien écrit avec une analyse pertinente, ça fait plaisir à lire.
J'ai appris de nombreuses choses sur Nintendo que je connaissais pas réellement (surtout la période années 80) et j'espère moi aussi que l'entreprise saura remonter la pente.
En tout cas, c'est un vrai plaisir de vous lire !
Merci pour ton retour plus que flatteur! J'ai déjà beaucoup écrit dans d'autres médias sur la période 1985/90 ainsi que sur l'ascension fulgurante de Nintendo, je ne pense pas le refaire ici. Ca reste une période passionnante, et de nombreux confrères en parlent également avec beaucoup de talent. Je serais ravi de te donner des références si cela t'interesse.
Merci :-)
Sinon, sur Standalone Post, il y a aussi notre ami d'Un drop dans la marre qui a consacré 2 minutes en vidéo sur la Wii U et Nintendo. Sa réflexion est très intéressante : https://standalonepost.com/emission/undropdanslamare/2-minutes-pour-convaincre-nintendo-constructeur-aux-2-coups-davance
Bon article mais quelques points me chiffonnent:
-Nintendo aurait "saboté ses blockbusters" ? Mario Kart saboté ? Personnellement l'opus Wii est et reste de loin mon favoris. Les objets abusés que vous citez permettent simplement de pouvoir revenir dans la course. Je n'appelle pas ça de la triche ou quelquechose d'abusée, j'appelle ça un équilibrage moi.
(sauf pour la carapace bleue inutilement punitive pour le 1er joueur, mais qui aide absolument tout les joueurs et pas seulement celui qui l'a lancée) => je rappelle au passage que cette carapace existe depuis longtemps dans la série.
-Nintendo qui met du facteur chance à foison dans tout ses jeux ? bof... Donkey Kong sur Wii U c'est un jeu purement hardcore et sans aucun coté hazardeux.
-"Big N n’a jamais su saisir l’importance des réseaux sociaux dans le monde vidéoludique actuel": Miiverse est une excellente solution je trouve contrairement à ce que vous avancez. Oui parceque facebook c'est moins pratique pour parler de ses jeux Wii U.
Voilà. Sinon j'ai quand même du mal à voir Nintendo devenir simple éditeur tiers tant la 3DS a du succès. Coté Wii U faut simplement, comme pour la Gamecube, que les jeux rentabilisent la console tout comme les Mario Kart et autres ont le potenciel de le faire.
En objet abusé, tu as Bill Balle ou Chain Chomp qui pilotent à ta place, tu peux lâcher la manette et te faire une tisane...
Pour la carapace bleue, j'aimais bien celle de l'opus N64, elle frappait tous les joueurs sur sa trajectoire. Depuis la NGC, comme elle vole, elle n'arrange pas du tout celui qui la lance (t'es dernier tu t'en fous de te rapprocher du 1er) et c'est très clairement abusé : quand t'es 2ème, tu suis le 1er en espérant qu'il s'en prenne une (et elle viendra) et t'es tranquille après. C'est une stratégie que je hais !
Miiverse est un réseau très clairement fermé, ce qui est très problématique pour un réseau social. Moi j'aime bien Miiverse, mais c'est clair que ça reste une conception trop renfermée sur elle même pour être viable (pour l'instant).
Mais tu as raison la Wii U est loin d'être entérrée :-)
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