Bien qu'encore récent, le financement participatif de jeux vidéo est déjà rentré dans les mœurs de nombreux joueurs. C'est l'occasion pour beaucoup de prendre part à des projet originaux, comme à la renaissance de licences. Kickstarter, Ulule, Indiegogo et consort font le bonheur de millions de développeurs et de joueurs à travers le monde. Mais alors que le leader Kickstarter a passé la barre du milliard de dollar récolté, on ne peut que s'interroger sur les tenants et les aboutissants d'un phénomène qui brasse autant d'argent. Le crowdfunding n'est-il qu'un monde de bisounours ?
La bande à Picsou
Du point de vue des dévelopeurs de jeu, le financement participatif est une fantastique aubaine. Il leur permet, ni plus ni moins, que de se passer de l'argent des éditeurs ! Pour comprendre la portée de cela, prenons un scénario "classique" de financement d'un jeu : un studio de développement de jeu a dans l'idée de se lancer dans son prochain projet. Comme pour tout, l'argent est le nerf de la guerre, et sans argent, pas de jeu. Ainsi, si notre studio n'a pas le budget nécessaire à la production de son jeu, il peut se tourner vers un éditeur pour lui demander des fonds. Le métier de l'éditeur n'est pas de faire des jeux, mais de les financer et les vendre. Si tout se passe bien, l'éditeur accepte d'investir dans le projet et le studio peut continuer son développement. Mais bien évidemment, l'éditeur n'est pas l'abbé Pierre, et ce financement va s'accompagner de quelques contraintes. Ce dernier pourra donc imposer une modification de certains contenus, un Business Model particulier, la tenue d'un planning et d'un budget précis ou encore le contrôle de la licence du jeu. Vu comme ça, on dirait que le méchant éditeur prend un malin plaisir à casser le travail des créatifs, mais c'est un peu plus compliqué que ça. En effet, en apportant son aide financière, l'éditeur prend un risque, personne ne pouvant savoir avec certitude si le projet en cours sera rentable ou non. Il faut donc trouver l'équilibre entre ce que veut faire le studio et ce qui a le plus de chance d'être rentable. Car l'éditeur va (peut-être) récupérer son argent via les ventes du jeu, et non par un remboursement du studio. Parfois tout se passe très bien, et parfois pas du tout. Comme par exemple lorsque l'éditeur vous oblige a passer votre simulation de course sur tablette en Free-to-Play, ou que le studio est en retard de 3 mois sur le planning prévu. Le délicat équilibre entre la création débridée et la dure loi du marché. C'est un mal pour un bien car un studio qui produit des jeux qui ne se vendent pas est appelé à rapidement disparaître. Certains objecteront cependant qu'une large majorité d'éditeurs sont trop timorés pour se lancer avec des jeux originaux, et donc risqués. Mais ceci est un autre débat. Pour faire court, on a donc un partenariat entre ceux qui créent les jeux, et ceux qui les financent.
Bien évidemment, il existe d'autres manières de financer son jeu, et le crowdfunding en est une. Le studio demande directement de l'argent à ses futurs joueurs, se libérant du même coup des contrainte éditoriales. C'est pourquoi de nombreux studios, pas forcément dans le besoin, passent par là. On trouve bien souvent dans les pages de crowdfunding une section "Pourquoi ce mode de financement ?" qui peut se résumer par "Bouh les éditeurs. On fait qu'est ce qu'on veut." L'art vidéo-ludique est donc libéré des chaînes de l'odieux capitalisme ! Mais quid du risque ? Parce que oui, il est toujours là. Et bien le risque, il est pour vous !
Pour l'amour du risque
Le jeu que vous avez demandé n'est plus attribué
Le premier risque, est non des moindres, c'est tout simplement que le jeu ne soit pas fini malgré un budget atteint. Il suffit que les dépenses soient mal gérées, ou que le projet d'un petit filou vous ait convaincu, pour que votre argent s'envole, ne vous laissant que vos yeux pour pleurer. Dans les faits, cela n'arrive qu'à 3,5% des projets, mais ça en fait quand même quelques uns qui sont partis avec la caisse en riant très fort. Dans ces cas là, n'espérez pas pouvoir vous retourner contre Kickstarter et consort, ces derniers déclinent tous tout remboursement suite à un projet non achevé. C'est marqué noir sur blanc dans les conditions d'utilisation. La seule option serait de porter l'affaire en justice pour escroquerie, le jeu en vaut rarement la chandelle. La seule chose qui a changé par la suite, c'est l'apparition en 2012 de la section "Risks and challenges" sur Kickstarter. En gros, le porteur du projet doit indiquer ici ce qui pourrait compromettre la bonne réalisation de son bébé. Accessoirement, cela permet également de jauger son sérieux. On pouvait donc s'attendre à une section plus sérieuse et moins marketing que le reste de la présentation d'un projet, comme ce fut le cas pour Mighty No. 9. Malheureusement, ça ressemble trop souvent à "Bah le risque c'est qu'on n'y arrive pas. Mais avec votre soutien et notre motivation, ça va déchirer grave. WOUHOU !!!!". Les développeurs occultent-ils sciemment certains risques de leurs projets ? Ou n'en ont-ils seulement pas conscience ?
Objectif Lune
Au-delà de l'anticipation des risques, les pages de crowdfunding restent souvent vagues sur l'objectif final du jeu. On a un pitch, des images, une vidéo qui envoie le pâté, plus rarement un prototype, et toujours beaucoup de promesses. C'est très marketing, très vendeur, mais au final on ne sait que trop rarement dans quoi on met les pieds. Tout au plus, on a une vue d'ensemble du Gameplay et une date supposée de sortie (très souvent allègrement dépassée). Aucune trace d'un embryon de planning ou d'une allocation du budget demandé, ce qui est pourtant la base d'une production sérieuse et organisée.
Dans cette catégorie, la palme revient au Studio Double Fine pour son projet Double Fine Adventure. La page Kickstarter n'annonçant que la production d'un jeu point-n-click, durant 6 à 8 mois, avec Tim Schafer aux commandes. Et zou, 3 millions de dollars engrangés. L'objectif de base était donc multiplié par 834%, ce qui ne les a pas empêché de quémander une rallonge pour sortir la seconde partie de Broken Age. Sur quelles bases était donc calculé l'objectif initial de 400 000$ ?
Money, money, money
Les studios et plateformes de crowdfunding ne sont pas là pour rendre le monde meilleur, mais pour collecter de l'argent. A ce titre, il se peut qu'un projet soit validé avec un budget minimum non atteint (financement flexible d'Indiegogo) ou multiplié par x%. Là encore, une manne pour les développeurs. Allez donc trouver un éditeur qui vous triple votre budget avec 10 lignes de textes, 3 images et un beau sourire. Ici encore, on appâte le chalant avec des promesses. Le dépassement de budget apparaît comme un objectif, une course à l'argent, qui récompensera les donateurs par du contenu supplémentaire. A croire que le budget initial visait un jeu au rabais. Et plus le budget gonfle, plus les objectifs se multiplient et deviennent délirants. Preuve que les projets ne sont souvent que peu définis. On remarquera également qu'une rallonge de budget est toujours synonyme de plus, mais pas de mieux. En témoigne le projet de Revolution Software, Broken Sword 5, qui annonçait la mise en chantier de Beneath A Steel Sky 2 si le palier de 1 million de dollars était atteint. Comme beaucoup de donateurs l'ont écrit, il aurait été plus judicieux d'allouer cet argent au projet initial, pour qu'il soit techniquement meilleur. L'embauche d'un animateur supplémentaire peut-être ? Le succès d'une campagne monte parfois à la tête des développeurs, provocant incompréhension et/ou colère des joueurs. Le fait qu'un projet atteigne x00% de son objectif, n'étant bien évidement pas une garantie de quoi que ce soit.
Le côté obscur
Le crowdfunding est une initiative qui permet à des créateurs de pouvoir développer librement leurs jeux. Si on ne peut que saluer certains projets, qui s'écartent des sentiers battus d'éditeurs trop frileux, il est important de garder à l'esprit qu'un tel système présente des risques. Le porteur de projet n'a aucune obligation contractuelle envers les futurs-joueurs financeurs concernant le contenu du jeu, sa qualité, sa date de sortie et l'utilisation des fonds. Les donateurs n'ont de pouvoir sur un projet que si le studio de production le veut bien.
En faisant un don à un projet de crowdfunding, vous lui accordez votre entière confiance avec pour seul contrepartie la promesse d'un jeu. On ne pourra donc que vous conseiller d'évitez de surmultiplier les donations et d'être toujours méfiant. Un jeu Kickstarter ou autre n'est pas seulement réservé à ses seuls donateurs, et vous aurez tout le temps de l'acheter après sa sortie. Si sortie il y a.
Commentaires
...et le dernier point noir concerne Kickstarter en particulier : la façon dont il draine les fonds des joueurs mondiaux vers les projets... américains !
En effet pour créer un projet Kickstarter, il est nécessaire d'avoir un compte aux US, et donc la nationalité US (et tout le monde n'a pas une carte d'identité américaine dans son portefeuille).
Donc, chez Kickstarter, on a pas de souci pour se prendre des commissions sur le blé de tout le monde, mais seuls les créateurs américains ou ceux qui s'arrangent un peu pour avoir un compte US à disposition peuvent en bénéficier. Et à côté, on vous bave sur les bienfaits sur crowdfunding comme quoi l'on donne sa chance à tout le monde comme ça. Ben non, pas à tout le monde. Juste à une minorité choisie, et vendre ça comme ça c'est lamentable et hypocrite.
Pour info, IndieGoGo (présent sur le marché presque 1 AN avant Kickstarter, au passage) est symétrique en ce qui concerne qui peut donner et qui peut recevoir, donc quand les gars de Kickstarter se défendent en disant "oui mais vous comprenez c'est compliqué avec les différentes législation toussa" c'est moche.
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