Ah, les salons de jeux vidéo! Les GamesCom, les E3, tous ces événements que vous attendez comme la sortie au Parc Astérix de votre enfance... Evidemment selon l'endroit où vous habitez et vos moyens, soit vous vous y rendez directement, soit vous attendez avidement les rapports de vos journalistes vidéoludiques préférés. Avec la même impatience, la même excitation, la même passion, et le même sens critique qu'un gosse de 4 ans devant le Père Noël. Cet article est là pour vous rappeler que si nous avons tous la prétention d'être intelligents et doués de raison, certaines compagnies n'ont aucun mal à nous transformer en gentils moutons.
Le choix éditorial et la fonction d'agenda
La fonction d'agenda est un terme utilisé en sciences sociales pour définir le fait que les médias, dans leur globalité, sélectionnent, orientent et hiérarchisent l'information fournie, volontairement ou pas. En effet, quoi qu'il se passe au Kazakhstan, si vous ne le lisez pas dans les médias, vous avez peu de chances d'être au courant. Et dans l'industrie vidéoludique, à chaque grand évènement, le problème est plus ou moins le même : on ne parle là-bas que de ce dont on parle déjà ailleurs. Si les grands éditeurs ont des stands à faire pâlir le Super U de Créteil (94), il ne faut pas oublier que ceux-ci ont un coût, et que ce coût fait tout simplement office de sélection naturelle - ou "droit d'entrée"- pour qui veut présenter son travail.
Le plus petit emplacement proposé par l'E3 l'année dernière faisait 55 mètres carrés et était loué 30.000€ (environ 550€ par jour ou 16,363€ par mois pour un mètre carré, si vous voulez comparer avec votre appartement). Si la somme peut paraître abordable, il faut la mettre en perspective : c'est un emplacement, pas un stand. Le collectif Indie Crash E3 estime que les frais réels pour ce stand microscopique s'élèveront à 300.000€ en moyenne, comprenant la construction du stand, le logement et la logistique. Tout ça pour finir derrière les toilettes, voir dix joueurs égarés qui ne vous parleront que de Battlefield et pouvoir dire à votre soeur que vous y étiez.
Vous choisissez de ne rien voir
Malgré ce paramètre de coût et de tri, les salons de jeu vidéo sont en général assez grands pour permettre un certain degré de diversité, mais heureusement c'est à ce moment que votre cerveau taquin va prendre le relais. Dans l'immense majorité des cas, quelle que soit l'heure de la journée, un salon de type GamesCom ou Paris Games Week déborde de visiteurs. Les files d'attente font des dizaines de mètres et avancent généralement à une lenteur effroyable.
Que décide la majorité des joueurs? De prioriser sa journée. Et pour qui allez-vous passer auprès de vos collègues si vous revenez de l'E3 sans avoir essayé le nouveau Call of Duty? C'est ainsi que, dès l'ouverture, on voit des centaines de gens s'amasser devant les stands les plus grands et les plus bruyants, s'y battre parfois, pour ramener le goodie de plus et pouvoir se vanter d'avoir essayé le blockbuster de l'année. Et bien souvent, il ne reste plus assez de temps pour aller voir le petit stand en carton recyclé derrière la friterie... Pas grave, on lira le résumé sur gamevideo.com.
Vous vous comportez comme un animal
Et des animaux, c'est bien au final ce que nous sommes. C'est à dire des êtres vivants qui, malgré le fait qu'ils soient doués de conscience, font et disent des choses sans forcément savoir pourquoi, conditionnés par des stimuli extérieurs. Il y a deux mécanismes qui fonctionnent très bien dans les salons, et ils tournent tous les deux autour de notre système de récompense. Les hôtesses, d'abord. Souvent peu ou pas habillées (je respecterai toujours Nintendo pour sa sobriété et sa parité homme/femme dans ce domaine), d'aucuns voudraient vous faire croire qu'elles sont ici pour attirer plus de visiteurs. C'est un non-sens absolu. Il est suffisamment aisé de voir aujourd'hui des jeunes femmes en petite tenue, que ce soit au salon de l'érotisme ou à la foire à la saucisse, pour que ce soit encore le motif de votre venue à la GamesCom. L'effet par contre, que peuvent avoir ces nymphes souriantes et absolument pas farouches sur les hommes (et plus largement, sur tout être vivant attiré par les femmes) est beaucoup plus interessant à observer. Imaginez la situation : malgré votre vague odeur de transpiration de la journée, votre physique assez quelconque et le fait que vous n'ayez rien tenté de particulier, une armée de femmes déshabillées vous sourit, vous laisse les approcher, les toucher pour poser avec elles, et continuent à vous sourire alors que manifestement vous matez leur poitrine avec un regard passablement lubrique.
N'importe quel homme normalement constitué va dans cette situation être inondé d'un flot d'hormones diverses et variées, mais va surtout se retrouver à un niveau d'euphorie et d'excitation qui aura deux effets principaux : augmenter votre concentration et votre énergie (dilatation des pupilles, augmentation du rythme cardiaque...), mais surtout vous rendre beaucoup plus crédule et disposé à avaler tout ce qu'on vous a gentiment mis sous le nez. L'état constant de vague excitation (qui d'ailleurs amène souvent à une sensation de nausée et de dégoût en fin de journée) est sans conteste l'arme numéro un des éditeurs, et la raison pour laquelle vous pouvez maintenant acheter tous les jeux exposés à la sortie des expos. Mais il existe des subterfuges plus alambiqués encore.
Vous en voulez toujours plus
Il est de ces principes comportementaux que même les vendeurs à la sauvette devant la Gare de Lyon connaissent, mais que nous commun des mortels semblons incapable d'intégrer. Et ce n'est pas faute de nous l'entendre répéter, depuis que nous sommes enfants : "N'accepte rien d'un inconnu!". Pourquoi, parce que les inconnus sont souvent des pédophiles ou des vendeurs à la sauvette? Non, parce qu'une fois que vous acceptez quelque chose d'un inconnu, il devient quasiment impossible de lui refuser quoi que ce soit par la suite. L'être humain est ainsi fait, le simple fait d'accepter de parler à une jeune femme faisant une collecte de dons pour une ONG dans la rue doit suffire à vous prouver la force de ce mécanisme. Il est d'ailleurs régulièrement mis en valeur et enseigné dans de nombreuses écoles, mais il se voit magnifié par l'ambiance si particulière des salons de jeux vidéos. Dans quel autre contexte avez vous vu des centaines de gens se masser autour d'un podium et hurler pour une planche de stickers ou un T-shirt?
Ces "cadeaux" cheapos ne vous serviront jamais à rien, se revendent mal, et vous aurez trop honte de porter publiquement un T-shirt World of Warcraft gratos pour le déplier même une fois. Le nombre ahurissant de bonus et autre goodies sans aucune valeur dont on vous gave n'a pas qu'un objectif d'image : plus vous en ramassez, plus vous vous battez pour ces babioles, plus vous devenez par la suite vulnérable à n'importe quel discours ou produit qui pourrait vous être présenté. Ah, les joies de la psychosociologie.
Vous n'avez aucun recul sur les produits
A l'époque (on n'a plus vingt ans...) où j'arpentais les salons pour le compte d'un site de high tech, il n'était pas rare qu'à mon retour en France on me bombarde de questions sur mes impressions concernant tel ou tel titre. Le fait de profiter d'une journée spéciale presse permet en effet de faire un tour un peu plus complet de la plupart des stands. Et je me suis rendu compte que quel que soit le titre, quelle que soit la licence, dès qu'on me posait une question je répondais "C'est super." "Ca déchire", "Je vais trop l'acheter", et autres inepties du genre. C'est bien ce qui est magique dans ces salons, grâce entre autres aux quatre éléments que je viens de citer : tout a l'air bien. Et il ne faut pas chercher bien loin pour en comprendre la raison. Donnez-moi un mauvais jeu avec suffisamment de moyens, donnez moi une babe exhibitionniste, je vous promet que je réussis à vous faire une démo technique de quinze minutes qui donnera envie à n'importe qui d'acheter la version finale. Si les journalistes spécialisés ont souvent droit à des sessions plus longues et donc à une vue plus globale du soft, l'humble visiteur se verra proposer LA scène de fusillade palpitante, LA phase de roleplay intense, LA course poursuite où les FPS ne chutent pas parce que ce n'est justement qu'une démo faite pour vous en mettre plein la vue.
Et c'est je pense ce qu'il faut retenir de ces salons du jeu vidéo : quoi qu'il arrive, votre subconscient sera trituré, malmené, vous rentrerez chez vous avec des envies de jambon de pays et de jeux de simulation équestre que vous n'avez jamais eues avant. On n'y peut rien, c'est la norme, dans ce domaine comme dans tant d'autres. Alors voyez ces évènements pour ce qu'ils sont : de gigantesques parcs d'attractions, où vous allez enchaîner les grands huits hormonaux et visuels. Marchez, jouez, extasiez-vous, buvez des bières à 10 euros, mais surtout respectez les femmes qu'on vous offre en pâture à moitié nues, et prouvez ainsi au éditeurs que le joueur "de base" n'est pas qu'un porc frustré. Et une fois chez vous, exténués, oubliez tout. C'est le plus beau pied de nez que vous puissiez faire aux éditeurs.
Commentaires
C'est intéressant de voir les choses un peu plus objectivement effectivement.
Il faut aussi voir qu'il y a des salons plus petits qui sont plus abordables pour les exposants et moins superficiels.
Je prend l'exemple de la TGS (Toulouse pas Tokyo ;) ) où il est possible de voir des grands éditeurs (Square Enix, Ubisoft, Nintendo) comme des plus petits (dont j'ignore le nom). On n'y trouve pas autant de babes non plus (ou alors je ne vais pas au bon endroit).
Mais c'est peut être parce que le salon n'est pas exclusivement dédiés aux jeux vidéos, et qu'on y trouve aussi de la SF, des webséries, des Youtubeurs, des dessinateurs et divers vendeurs de mangas ou de goodies. Du coup la partie présentation de jeux est plus diluée, et malgré les bornes pour essayer les derniers jeux WiiU, PS4 ou XB1, il y a aussi pas mal de choses à coté et assez peu de conférence qui soient uniquement jeux vidéos.
L'article est, à mon avis, vrai pour les gros salons, chers et élitistes où il faut rentabiliser l'investissement, mais incorrect pour des salons locaux plus petits (mais tournés vers le jeu vidéo quand même).
ÉVÉNEMENT, bon sang de bois! ÉvÉnement! Pas évÈnement!
Article sympathique sinon. C'est suffisamment rare de lire une analyse critique du concept même de salon du jeu vidéo pour qu'on apprécie le geste.
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Arrêtez-le, il va nous exploser les zygomatiques dès le début !
Blague à part, je suis en accord avec la conclusion ainsi que sur l'infernal déversement de produits sur notre figure qui ne nous procure aucun recul vis-à-vis des jeux présentés (ah, Alien : Colonial Marines et l'IA des créatures totalement différente du résultat final). La photo des cosplays de la princesse Leia du Retour du Jedi a provoqué en moi des remontées gastriques aussi.
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