Argument de plus en plus utilisé pour critiquer la pauvreté d'un jeu, l'effet couloir correspond à l'insertion de contraintes de gameplay par un level-design linéaire ou semi-linéaire dans un jeu en trois dimensions. En gros : cela donne l'impression pour le joueur de ne faire que suivre un couloir tout tracé. Avec l'arrivée de jeux de plus en plus réalistes, beaucoup d'entre-eux pâtissent d'une limitation, souvent agaçante, des possibilités d'interaction avec le décor. En comparaison avec certaines licences au monde ouvert comme GTA, l'effet couloir sonne parfois comme datant d'une autre époque, celle des jeux en 2D.
Cet effet est-il une fatalité, due à une fainéantise des développeurs ou aux trop grosses contraintes commerciales et techniques de ces dernières années, ou bien est-ce un choix délibéré afin de faire ressortir d'autres aspects d'un jeu ?
Des cheveux blancs pour les développeurs
J'en parlais dans un précédent article, mais l'arrivée de la 3D a bouleversé les codes du gameplay, en permettant l'émergence de nouveaux moyens de déplacement. Parmi les contraintes supplémentaires posées lors du développement d'un jeu tridimensionnel, la question des limites physiques est une des plus importantes.
Avec un gameplay permettant le déplacement sur 3 axes, il est facile pour le joueur de contourner ou d'exploiter le design du jeu à son avantage. Ainsi de nombreux bugs, sur de nombreux jeux permettent de tirer à travers les murs, de sauter des passages obligatoires ou même de terminer le jeu en quelques minutes, comme ce que l'on voit beaucoup avec le Speed Gaming[1].
Le développement du game-design d'un jeu 3D peut vite devenir un calvaire si le scénario du jeu pose des contraintes importantes.
Dans GTA III par exemple, si le joueur avait pu directement accéder à toutes les parties de la ville, le jeu aurait été terminé très vite et surtout aurait gâché toute surprise au joueur. Rockstar, l'éditeur du jeu, a donc dû "tricher" en imposant des limites physiques fictives : un faux chantier sur le pont qui donne accès à la seconde partie de la ville cachait facilement des murs invisibles. GTA étant un jeu loin d'être linéaire, il restait tout à fait possible pour le joueur d'exploiter les nombreux bugs de cet opus pour passer malgré tout de l'autre côté du pont, ce qui est en soi quelque chose d'assez génial (braver l'interdiction dans GTA, tout un symbole).
On touche avec les yeux
L'introduction de limites invisibles est devenu une dominante majeure du développement d'un jeu. Contraindre le joueur à ne pas franchir une barrière réalisée avec des éléments de décor est plus compliqué que de placer juste devant un mur caché. C'est aussi le moyen de s'éviter l'apparition de bugs de collisions, un plan invisible étant moins source d'erreurs que des objets aux formes plus complexes.
Le souci avec les murs invisibles, c'est qu'ils ne le sont plus dès lors que le joueur s'y frotte. C'est alors au level-designer de faire en sorte de créer des environnements où les limites sont crédibles. Une barrière, des débris, un arbre couché, un cours d'eau sont autant d'éléments qui permettront au joueur d'accepter les limites imposées, parce que cela paraît possible. Le piège survient lorsque ces limites sont trop importantes, car même si elles sont bien maquillées par des éléments de décor, le joueur prendra rapidement conscience qu'il n'a que très peu d'espace pour évoluer : c'est ce qu'on appelle l'effet couloir.
Les cas d'école
Nombreux sont les jeux qui tombent dans le piège de l'effet couloir, d'autant plus visible pour ceux qui présentent en plus des graphismes impressionnants. One Piece Pirate Warriors sur PS3 est un bon exemple d'une limitation à la fois abusive et d'un level design tellement contraignant que le joueur s'agace très vite de ne rien pouvoir toucher. Le jeu est graphiquement superbe, arborant un mélange de cell-shading et de textures soignées, le tout avec une très grande fidélité par rapport à l'univers de la série animée. En tant que joueur, et encore plus si l'on est fan de la licence, la frustration est immédiate quand on se rend compte qu'il est impossible d'évoluer à sa guise et d'explorer l'univers proposé. Le jeu se contente de couloirs aux limites hallucinantes : les murs invisibles sont placés entre 30 et 50 cm des bâtiments. Un comble pour une licence qui prône le voyage et la liberté.
Le reboot de Tomb Raider sur PS/Xbox va encore plus loin en ajoutant, outre un gameplay d'une linéarité abrutissante, un nombre assez important de passages en QTE. Le QTE, ou Quick Time Event, est une forme de Gameplay apparue dans Shenmue sur Dreamcast, qui consiste à appuyer sur des touches au bon moment pour passer des cinématiques (ou des animatiques). Dans Shenmue, le fait de réussir ou de rater le combo de touches influençait sur la suite de l'animation. Avec Tomb Raider il n'est pas question de proposer deux alternatives au joueur : celui qui se trompe meurt et recommence instantanément le jeu à l'endroit exact où il a raté sa séquence de QTE, jusqu'à la réussir.
Une fois encore il s'agissait d'un jeu très réussi visuellement mais pour lequel le joueur est tellement limité qu'il aurait été moins hypocrite d'en faire une unique cinématique à visionner avec sa console. Le joueur, débarrassé de sa manette, aurait pu alors manger du pop-corn en regardant et en écoutant les insupportables gémissements d'une Lara Croft n'ayant décidément que le nom de commun avec l'héroïne des volets précédents.
Pourtant cet effet peut être le moteur du gameplay
On a entendu ci et là quelques critiques sur l'effet couloir de Portal. Pourtant il s'agit d'un des jeux qui a très bien compris comment utiliser cet effet et s'en servir pour enrichir l'expérience de jeu.
Lorsqu'on commence dans Portal, les niveaux sont conçus de manière pédagogique. A l'instar d'un Mario où le design des créatures explique aux joueurs la manière de s'en débarrasser, l'architecture des premiers niveaux de Portal ne servent qu'à orienter le joueur pour essayer des combinaisons qui lui serviront plus tard. Fort de l'expérience des premières salles, le joueur dispose alors d'un panel de possibilités qu'il a expérimenté par lui-même sans avoir à subir d'interminables tutoriels. La suite du jeu restera linéaire mais laissera au joueur le choix de terminer le niveau comme bon lui semble. Il s'agit ici clairement d'un jeu qui ne pourrait tout simplement pas exister sans l'effet couloir. Pourtant, le joueur ne ressent à aucun moment une impression de limitation tant les outils qu'on lui a donné lui permettent une grande liberté.
Georges Perec, fondateur du mouvement OuLiPo, disait "l'art naît de la contrainte". Selon lui, le fait d'appliquer des règles restrictives permet d'aller plus loin dans le processus créatif.
Certains jeux usent de la même méthode pour limiter le joueur dans ses déplacements et proposer d'autres solutions qui vont ouvrir tout le potentiel d'un gameplay riche et subtil comme peut l'être Portal par exemple. Il vaut mieux parfois un monde fermé et restrictif avec des solutions de gameplay étendues, qu'un monde ouvert où les possibilités de jeu sont inintéressantes ou répétitives.
L'effet couloir n'est donc ni un problème ni la conséquence du manque de qualité d'un jeu. Il s'agit d'avantage d'un mode de jeu, comme peut l'être la 2.5D, avec des réussites et des échecs. Un jeu qui a l'ambition de se servir de sa linéarité pour inventer son gameplay ne pourra pas être critiqué pour cette intention (ça ne l'empêchera pas de pouvoir être raté sur d'autres points).
Malheureusement bon nombre de grosses licences AAA ne sont pas capables d'innover et de proposer de nouvelles formes. Le gros défaut de ces jeux n'est dès lors pas l'effet couloir qu'ils affichent mais clairement leur manque d'ambition et de créativité.
[1] le Speed Run est une discipline qui consiste à terminer un jeu le plus rapidement possible, avec ou sans contraintes complémentaires. Ainsi, un speedrunner peut exploiter les failles d'un jeu, ses bugs, des défauts de conception, mais doit aussi réellement passer énormément de temps à parfaire son parcours pour améliorer ses temps. Il s'agit là d'une discipline de recherche de performance mais aussi d'une sorte de fan-service qui peut faire revivre (ou perdurer) un jeu durant des années.
Commentaires
Ce n'est peut être que mon point de vue, mais pour moi la notion de "couloir" n'a rien à voir avec la 3D. Je passerais sur les exemples de jeu 3D en couloir, mais à titre d'exemple fallout est un jeu 2D qui est tout sauf linéaire, et donc souffrant d'un syndrome de couloir. On va où on veut, quand on veut.
On ne peut pas parler d'effet couloir pour la 2D et ce pour 3 raisons à mon avis :
- d'abord pour une raison historique : le terme "effet couloir" est arrivé assez tard en réponse à un nombre important de jeux 3D très linéaires et dont le gameplay revenait à celui des jeux 2D, donc bien après le passage de jeux massivement 3D (milieu et fin des années 90).
- pour une raison sémantique : la plupart des jeux 2D offrent un déplacement latéral (même une vue du dessus on en peut se déplacer que sur les axes x et y), donc aussi linéaires soient-ils les déplacements sont de type "scrolling". Un déplacement en couloir implique que l'on avance du premier plan au fond du couloir, donc dans la profondeur. Le terme couloir ne peut pas s'appliquer à un jeu en scrolling.
- enfin pour des raisons techniques : si l'effet couloir limite les déplacements sur un des axes et les jeux 2D n'en possédant que deux, on se retrouverait avec un gameplay très étrange en 1 dimension jouable. Une sorte de pong :-)
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