A peine plus de six mois après sa sortie, le dernier bébé de Rockstar se porte bien, caracolant encore en tête des ventes de la PS3 alors qu’il n’est pas le dernier jeu sorti. Loin derrière, la franchise Call of Duty, pourtant immense succès populaire, sait déjà que jamais elle ne pourra rivaliser avec les 20 millions de pièces vendues sur ce seul support. De la même façon que The Last of Us, ce GTA a été autant anticipé (le jeu était rentabilisé avant même sa sortie grâce aux précommandes) qu’encensé. Il fait partie de ces jeux que beaucoup vont acheter, et dont il est très difficile de dire du mal sans risquer sa peau ou sa réputation. Bravant tous les dangers, pourtant, cet article est là pour vous montrer qu’une gloire passée ne peut justifier tous les errements, et que l’ego est souvent mauvais conseiller.
Avertissement : ce dossier détaille certains évènements de la série, et peut par conséquent contenir quelques spoilers.
GTA V n’est pas subversif
Du GTA premier du nom aux diverses variations de GTA III, Rockstar a dû lutter pour sa survie face aux lobbys, aux parents inquiets et à une partie de l’église catholique. Les premiers épisodes de la licence, aussi cyniques que sanglants mais surtout extrêmement réalistes pour l’époque, provoquaient à chaque fois un tollé médiatique, et l’éditeur n’a pas toujours été en position de rire de la controverse qu’il provoquait sans craindre pour son avenir. Les ventes allant croissant, le concept du jeu devenant un genre à part entière, Rockstar a depuis aisément trouvé le moyen d’utiliser ces scandales à son avantage : comme un vecteur de publicité supplémentaire. Après un épisode IV plus politisé sur lequel je reviendrais, GTA V sort donc fin 2013 et occupe massivement le terrain médiatique. Sa réputation le précède : attention, il va y avoir du politiquement incorrect, de la violence et du sexe.
Le problème c’est que depuis GTA III, Rockstar a compris qu’il pouvait essayer de jouer sur deux tableaux pour gagner encore plus d’argent. Pourquoi se mettre forcément tous les parents à dos? Pourquoi forcément entamer une croisade contre l’Amérique et les convenances? Alors qu’on pourrait, par exemple, donner une espèce d’arrière-goût de subversion, sans qu’on puisse mettre vraiment le doigt dessus?
Voilà donc exactement ce que sera GTA V : un jeu qui ne donnera plus de frissons qu’aux enfants, aux extrémistes et à ceux qui n’ont jamais touché une manette. Les scènes de sexe sont la plupart du temps intégralement censurées, et on peine à deviner qu’il se passe vraiment quoi que ce soit si ce n’est pour les gémissements. Les scènes de violence sont lissées au possible, les personnages saignent à peine et les effets ragdoll abusifs rendent l’ensemble cartoonesque. Tous les gamers savent pertinemment qu’il existe une myriade de jeux graphiquement plus choquants et psychologiquement plus perturbants, comme ils savent qu’il existe des FPS de meilleur calibre que les sempiternels Counter Strike.
Ce qui relègue donc ce GTA au rang de jeu casual, destiné à un public cherchant des sensations au rabais et de l’immoralité de cour de récréation. Pour faire peur à maman, pour avoir l’impression d’être de l’autre côté de la ligne jaune, tout en pouvant quand même se coucher sans faire de cauchemars.
GTA V n’est pas subversif, il en a à peine le goût. La “censure” que lui imposaient les limitations techniques de l’époque est maintenant devenue autocensure, imposée par des besoins de rentabilité. Il ne lui reste donc que cette réputation de jeu choquant, qui lui sert pour continuer à vendre à un public de plus en plus jeune.
Et ne me parlez pas de la scène de torture. Mal réalisée, cette scène grotesque et glauque est dénuée de tout contexte ou seconde lecture qui aurait pu lui donner un sens ou une portée. Dans un jeu qui vous donne une liberté totale, et qui vous laisse faire tous vos choix, on vous oblige à torturer un homme, ne choisissant que vos instruments pour ensuite contempler le résultat. En pensant vous choquer peut-être, réveiller des sentiments humanistes en vous. Ou, plus probablement, juste pour faire hurler les journalistes du Guardian.
GTA V n’est pas une critique de la société américaine
Alors maintenant qu’on parle de Rockstar dans Le Monde, autant se donner de grands airs. Chez l’éditeur, on a laissé témoigner tout le monde : doubleurs, techniciens, graphistes… Et tous sont absolument convaincus d’une chose : si on tente à tout prix d’interdire leur jeu à la limite de la légalité et de l’extrême violence insoutenable (sic), c’est avant tout parce qu’il critique sauvagement la société américaine, en montre ses travers et que cela dérange.
Arrêtons-nous une seconde sur ce formidable argument qui voudrait faire passer Sam Houser pour le prochain Nobel.
Cette légitimité dans la violence, le studio la cherche quasiment depuis le départ, mais de façon plus appuyée depuis GTA III (avec les thèmes du racisme et de la corruption) et assez magistralement dans GTA IV (sur les mêmes thèmes, mais aussi ceux de la guerre et de l’immigration). Notez d’ailleurs que si ce quatrième opus n’est pas exempt de défauts, il est à mon sens tout à fait à propos dans la manière dont il véhicule un message et dans l’équilibre entre critique du système et autodérision.
Emportés par leur nouvelle étiquette de philosophes du jeu vidéo, les gars de chez Rockstar se sont alors dit que ce pourrait être une de leurs marques de fabrique. Le problème, c’est que l’histoire de Niko Bellic avait aussi ennuyé pas mal de monde, et qu’on avait trouvé ce GTA IV plus lent, plus froid, moins intense. Comme c’était difficile de parler de la condition des ouvriers Moldaves sans perdre la moitié de son public, l’éditeur a alors choisi la facilité : “On va critiquer l’Amérique!”
Sauf que montrer l’évidence, grossir des traits, singer un système comme de nombreux scénaristes de seconde zone ont pu le faire depuis vingt ans, ce n’est pas une critique de la société. Ça s’appelle un prétexte, au mieux de la récupération. Nous ressortir un gangster noir au grand cœur, un redneck violent et un blanc ripou qui a des problèmes de divorce, puis prétendre que c’est du Zola, c’est prendre les fans pour des demeurés. Il n’y a aucune critique sociétale dans GTA V, à peine un constat évident qui est que dans les pays riches, il y a de la violence, et que c’est dommage.
Tout le reste n’est qu’empilement de clichés resucés qui voudraient se donner des airs. Le Masque le disait d’ailleurs avec intelligence il y a quelques semaines : en arriver à faire fumer du cannabis à son personnage, en faire un élément central d’une chaîne de missions (alors qu’aujourd’hui sa consommation va jusqu’à se légaliser dans certains états), c’est bien la preuve du décalage qu’il y a entre une soi-disant volonté de critiquer et une récupération de tout ce qui peut faire peur aux familles conservatrices du globe.
GTA V, c’est Les Sims avec des flingues
La première chose que vous apprendrez si un jour vous prenez des cours avec un scénariste, c’est la notion de préparation/paiement. Si un épisode de série, ou même un jeu insiste pendant trois minutes sur une tasse de café, que quatre personnages en parlent et qu’elle est constamment dans le champ, il faut que quelque chose se passe avec cette tasse avant la fin. Cela paraît assez logique et presque ridicule, pourtant trop de manquements à cette règle élémentaire peuvent souvent expliquer pourquoi tel ou tel film vous a déplu. Maintenant examinons le parti pris de Rockstar pour son nouveau bébé.
L’idée, c’est de pouvoir faire tout ce que l’on veut. Du manège, du bateau, aller voir des prostituées, taper sur des gens, faire les poubelles, faire du tennis… vous avez saisi comme moi l’étendue du concept.
Vous êtes, comme moi, déjà pas loin de vous dire que c’est surtout une question d’ego, et de démesure, mais peu importe si le jeu est bon, pas vrai? Parce que le fan, il va chercher une quête principale intense, et des side quests palpitantes.
Alors les missions grandiloquentes, vous les avez. Les side quests variées, de plus ou moins bon goût, vous les avez aussi. Ça c’est la préparation. Et… il n’y a pas de paiement. Comme GTA V n’est pas doté d’un système d’expérience ni de leveling, tout passe par l’argent. Votre “niveau”, la force et les compétences de votre personnage ne sont déterminés que par votre compte en banque. Ce qui est assez faussé, puisque pour avoir une progression homogène chez la plupart des joueurs il faut éviter qu’ils roulent en char d’assaut au bout d’une heure de jeu. C’est le principe de l’illusion de liberté indispensable à tout jeu solo scripté.
Que décident alors les développeurs pour vous proposer un contenu gigantesque en évitant que vous soyez trop vite trop puissant? Tout simplement de ne pas vous payer. L’intégralité des missions secondaires ou bonus ne vous rapportent absolument rien, il en va de même pour les nombreuses interactions possibles avec tout un tas de personnages et de lieux. En voulant se prendre pour un RPG moderne, GTA oublie que le joueur ne fait jamais d’actions gratuites, à moins que cela ait une influence sur la suite de l’aventure ou que le dit joueur ait une empathie forte avec son personnage (comme dans Mass Effect par exemple).
Résultat, même les casses principaux (comme le braquage du sous-marin, qui vous demandera énormément de temps et d’efforts in game), ne vous paieront pas. Pas un dollar, pas un objet rare, rien. D’ailleurs vous passerez les vingt premières heures de jeu soit à bidouiller le système boursier pour contourner les limitations d’argent, soit à être constamment à sec, et surtout à vous demander quand le fun va commencer. A savoir : quand est-ce que vous allez arrêter de bosser gratos pour des idiots, et quand vous allez enfin pouvoir goûter un peu à cette sensation de toute puissance et de démesure qui caractérisait si bien la série.
La réponse? Jamais. Pas en accomplissant les missions en tout cas. Alors très vite vous abandonnerez les quêtes secondaires, pour rusher le scénario jusqu'au moment où vous pourrez enfin péter des trucs. Et où on arrêtera de vous bourrer le crâne avec une pseudo morale sur les adolescentes qui font du porno.
GTA V fait passer sa durée de vie artificielle pour des choix artistiques
Tout comme la majorité des Français, vous êtes bilingue. Et Rockstar l’a très bien compris. Sous couvert de prétentions cinématographiques, le studio nous offre 2700 heures de dialogues en VOSTFR, réparties avec soin sur l’intégralité des scènes de conduite. Alors évidemment cela part d’une bonne intention, meubler des moments un peu plus calmes en développant l’histoire et les relations entre les personnages.
Mais même si vous étiez très doués en anglais, entre le bruit ambiant, les accents appuyés, la surabondance de texte explicatif en plus du sous-titrage et la précision nécessaire à certaines cascades, vous auriez du mal à tout suivre.
Et si je me fiche assez de savoir pourquoi Jean Claude ne s’entend pas avec sa voisine, je suis beaucoup plus en colère quand le jeu me fait recommencer depuis le début parce que je n’ai pas réussi à lire le “Tournez à gauche” perdu entre le monologue de mon passager et des parties de didacticiel plus ou moins à propos.
Et on en vient à un problème qui surpasse largement celui de la VOST : le jeu est à la fois horriblement punitif et cruellement arbitraire.
Reparlons de la mission du vol de sous-marin. Parlons du fait que comme Rockstar veut vous montrer qu’il peut tout vous faire faire, vous vous retrouverez à manœuvrer une grue pendant un quart d’heure entier pour déplacer des caisses. Parce que c’est amusant? Non. Parce qu’ils le peuvent. Vous pouvez aussi déplacer des caisses dans GTA, et ça c’est prodigieux. Mais attention, si ivre d’ennui vous avez le moindre accrochage avec votre transpalette, la mission est perdue, et vous n’avez plus qu’à tout recommencer.
Quand ce n’est pas le destin, ce sera la main divine qui viendra vous compliquer la tâche, décidant qu’à tel moment précis, comme par hasard, tel ou tel personnage se retrouvera dépouillé de toutes ses armes, ou bien tel ou tel ennemi vous tombera dessus. Scénaristiquement, on est plus souvent dans la justification des pics de difficulté que dans un principe de cohérence globale.
Mais vraiment, le plus douloureux dans cette histoire, c’est de se retrouver devant un Game Over et de ne pas comprendre pourquoi. Croyez-moi, ça arrive beaucoup. Après tout, le jeu proposant du Bullet time pendant la conduite et une assistance à la visée, il fallait bien trouver un moyen pour qu'on ne puisse pas finir l'histoire en cinq heures avec une seule main.
Le mode online est une insulte à l’intelligence
Quel genre de multi pourrait-on offrir à un jeu comme GTA V? Un concept à la All Points Bulletin, un MMOTPS vous proposant d’incarner la police ou les braqueurs, de préparer des casses en coop ou de les empêcher? “Non, trop complexe, on va perdre les gogos, et ce sont eux qui payent le plus au final.”
Alors après moult bugs, problèmes techniques et instabilités, on a récemment eu le plaisir de se rendre compte que même patché, le multi de GTA V était d’une nullité sans nom. Et c’est amusant parce qu’il est l’exemple parfait de ce que j’essayais de démontrer dans un article précédent, à savoir que si le joueur lambda a le choix entre coopérer pour atteindre un but ou tuer tout le monde, il choisira de ruiner l’expérience collective.
C’est dommage, mais c’est une constante. Rockstar a donc choisi de permettre à ses joueurs de s’entretuer sans que ça n'ait aucune finalité, en se disant que ça demandait moins de travail et qu’ils pourraient toujours proposer un vague mode de course et d’affrontements pour se donner bonne figure.
Et si, c’est grave. Bien entendu que c’est grave. Dans un monde où le multi prend presque systématiquement le pas sur le solo et fait la réputation d’un jeu, il devient également le reflet de ce que le développeur pense du joueur. Le mode solo devient une sorte de director’s cut, une “vision de l’artiste”, et le multi un mode censé plaire au plus grand nombre le plus longtemps possible.
Alors voilà ce que vous aimez. Rouler sur des gens, tirer dessus, surtout sur vos alliés, surtout les moins forts que vous. En boucle. Et ne remerciez pas Rockstar, ils n’en ont rien à foutre.
Je sais très bien qu’une chronique de ce genre va forcément m’attirer des foudres. Et aussi qu’il est impossible d’être objectif sur un sujet aussi sensible, ma volonté étant essentiellement de m’arc-bouter pour faire contrepoids à la complaisance globale autour de ce titre. Je n’ai jamais dit que Grand Theft Auto V est un mauvais jeu. J’y ai joué une quarantaine d’heures avant de le revendre, lassé il est vrai. Je dis juste que c’est un mauvais GTA, qu’il insulte ses prédécesseurs, l’image et le concept que la série avait auparavant créé. Et que si la foule continue à l’encourager, Sam Houser risque de nous sortir encore un bon nombre de dérivés insipides, bien loin du choc des premières années…
Commentaires
GTA V est subversif, quand t'as un developeur informatique qui t'explique dans le jeu qui faut sortir des betas d'applications pour pouvoir sortir des mises à jour payantes par la suite c'est subversif.
GTA V est une critique de la société américaine suffir d'écouter michael parlé de sa fille sa femme ou de son fils.
La mission de transport de caisse avec la grue du port ça m'a pris 5 minutes.
Et le mode online, je jous qu'en solo donc je sais pas.
Je comprend pas la démarche de cet article de vouloir flinguer ce jeu honnête ou le gamer est respecté, y a tellement pire aujourd'hui.
Personnellement, j'ai eu beaucoup de mal à assimiler les antagonistes de GTA V. Trop confus, pas assez charismatiques et trop emmêlés avec la vie de nos trois héros (Michael, Franklin et Trevor). GTA IV offrait une linéarité compréhensible avec le félon Dimitri Rascalov et ses ambitions de pouvoir. Dans ce dernier opus, on est confrontés à des types dont on en a rien à foutre. Seul le gang des Lost reste fun à massacrer. Lazlow et les scientologues (The Epsilon Program) font tout de même honneur depuis leur introduction dans l'univers GTA il y a quelques années.
Je suis consterné par l'utilisation obligatoire d'Internet afin de boucler à 100% le jeu. De prime abord les fonctionnalités comme la bourse (BAWSAQ et LCN) et l'entraînement du chien sont optionnelles, mais dès que l'on souhaite compléter GTA V, il est impossible de finir le jeu. L'argent est toujours aussi épuisant à récolter, contrairement à la saga sur PS2, en mode offline. Un élément handicapant pour les joueurs ardus de parachever les missions secondaires et autres collectes d'objets.
Ah et les radios sont de plus en plus inégales, j'avais l'impression d'un retour en arrière avec des programmes bien plus courts. Dommage car le monde ouvert était bien plus attractif.
"Je sais très bien qu’une chronique de ce genre va forcément m’attirer des foudres." -> Pas de ma part en tout cas : c'est tellement rare de trouver quelqu'un qui a le même genre d'opinion que moi sur ce jeu.
Dans mes bras, copain !
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