Pour célébrer mon arrivée sur Standalone Post, je vous propose de découvrir un petit jeu indépendant injustement méconnu et sortie en 2013 via la plateforme Steam ainsi que sur PS Vita : Papers, please de Lucas Pope.
En deux mots
Les faits se déroulent en novembre 1982. Vous êtes un citoyen d'Arstotzka tiré au sort par la loterie nationale pour devenir le nouveau fonctionnaire gérant le poste frontière du pays. Vous voilà donc préposé au contrôle des passeports des personnes souhaitant passer la frontière et pénétrer sur le territoire d'Arstotzka. Présenté comme cela, façon « poste frontière simulator », ça ne parait pas très engageant mais penchons-nous malgré tout un peu plus sur ce jeu original d'environ 50Mo au design 8 bits et qui va se révéler d'une profondeur particulièrement inattendue et rafraichissante...
Arstotzka ?
Arstotzka est un état totalitaire fictif qui parodie terriblement bien le style "régime communiste de la fin du siècle précédent". Une loterie a donc été mise en place par le gouvernement pour le recrutement des nouveaux fonctionnaires, ce qui leur garantit un emploi stable - Avantage non négligeable dans ce type de circonstances (De toute façon, on devine facilement qu'on ne peut se permettre de dire non au gouvernement en place) - et demande une loyauté sans faille de l'intéressé envers son gouvernement. Et cette fois-ci, le gagnant, c'est vous ! Félicitations !
Vous voilà donc responsable d'un poste frontière, c'est à vous d'autoriser ou non l'entrée sur le territoire de ceux qui s'y présentent. Leur sort ne dépend que de vous et de votre sens de l'observation.
Le jeu
Car oui, il s'agit ici avant tout d'un jeu d'observation : La première journée consiste à ne laisser passer que les personnes déjà citoyennes d'Arstotzka, aucun immigré n'est toléré. Vous disposez d'un petit bureau permettant de vérifier que les informations notées sur le passeport (photo, sexe inscrit, date de validité et commune d'origine) soient correctes.
C'est un travail laborieux et assez répétitif, façon jeu des 7 erreurs de notre enfance, mais la première journée se déroule ainsi sans trop d'accrocs pourvu qu'on garde les yeux ouverts.
Comme à l'usine, c'est une sonnerie qui annonce la fin du travail et on découvre alors le bilan financier de la journée : La paye et la façon dont l'argent est dépensé.
En effet, notre fonctionnaire touche une rémunération proportionnelle au nombre de cas traités durant la journée, et avec celle-ci, il doit subvenir aux besoins des quatre membres de sa famille vivant sous son toit, payer la nourriture et le chauffage pour tout ce petit monde, ainsi que les charges de son logement. On comprend tout de suite qu'il va falloir faire dans la rentabilité si on veut que notre famille se porte bien tout au long de la partie sous peine d'avoir à faire des choix draconiens (« Ce soir on mange ou on a du chauffage ? Non parce que là, je n'ai pas assez pour payer les deux ! »).
Vos décisions prises durant la journée au boulot et le soir sur la manière de dépenser la paye ne sont jamais sans conséquences : ne pas pouvoir payer la facture de chauffage, par exemple, présente un risque de rendre un ou plusieurs membres de votre famille malade, ce qui nécessitera donc rapidement l'achat de médicaments onéreux, voir dans le pire des cas, si on y ajoute par exemple une petite période de disette sdans le cas où les salaires des jours suivants ne sont pas suffisants, le décès pur et simple de vos proches.
Évidemment, la charge de travail s'alourdit rapidement : un attentat contre le poste frontière, suivi de quelques autres évènements nécessiteront que vous en fassiez de plus en plus avant de décider ou non de laisser passer le demandeur qui vous fait face.
On se retrouve donc avec la possibilité de mener de courts interrogatoires, demander des documents complémentaires, faire passer un scanner corporel, effectuer un relevé d'empreintes digitales, procéder à une mise en détention, etc...
Proportionnellement, plus la liste des documents et de cas particuliers dont il faut vérifier la cohérence augmente, plus le temps passé par dossier augmente et oblige à se dépêcher pour espérer finir la journée avec un bilan financier positif !
Ainsi, après chaque cas traité, le temps d'appeler la personne suivante, on vit quelques secondes de stress à se demander si on va se prendre un blâme pour avoir laissé passer une erreur dans le dernier dossier traité. Le Parti ne tolèrera que 2 erreurs de jugement par jour, au-delà, les sanctions (retenues sur salaire) commencent et montent crescendo. La pression monte.
Heureusement, tout le système n'est pas contre vous, et il sera possible d'acheter des améliorations sous la forme de raccourcis clavier très efficaces pour automatiser certaines étapes de vérification des documents, mais là encore, si vous êtes trop juste financièrement pour faire face à toutes vos charges, votre femme supportera-t-elle de nouveau de ne pas avoir à manger ce soir pour que vous puissiez acheter cette amélioration qui devrait vous aider à optimiser votre rendement, et donc vous permettre potentiellement de gagner un peu plus les jours suivants ?
Dans la vie, tout est une question de choix
Dans ce contexte de rendement dont la survie familiale dépend, et compte tenu de la répétitivité de la tâche, on peut être facilement tenté d'écourter les vérifications ou de ne les survoler que très superficiellement (plus ou moins sciemment) mais ce serait une grave erreur dont les conséquences peuvent être dramatiques (les retenues sur salaire vous privant de ressources, un attentat perpétré par un terroriste passé avec de faux documents, la mort d'une personne vous ayant demandé de l'aide, etc…).
La vraie force de ce jeu vient des choix moraux auxquels le joueur est confronté.
En effet, outre le contrôle standard, parmi les gens qui se présentent à vous, certains peuvent avoir des requêtes, comme vous demander de faire preuve de clémence devant une petite erreur de date sur un certificat, ou comme cette jeune femme qui vous supplie d'empêcher l'entrée sur le territoire d'un homme qui la suit dans la file et lui veut du mal. Mais si jamais ce dernier, quand il va se présenter à vous, a ses papiers en règle, endosserez-vous l'erreur de le refouler sans raison "valable" pour aider la jeune femme ? Et si vous le laissez passer, vous toucherez de l'état les 5$ correspondant, mais qu'adviendra-t-il de la jeune femme ?
Certains autres vont même jusqu'à vous proposer de l'argent en échange de ce type de service. Accepterez-vous les 10$ de cet homme qui vous demande de laisser passer sa fille clandestinement tandis que, d'un autre côté, votre fils est malade car le chauffage a été coupé depuis 24h car vous n'avez pas été assez performant ? C'est devant ce genre de dilemme aux répercussions souvent lourdes qu'il va falloir réfléchir, et réfléchir vite car l'heure continue de tourner et la fin de journée approche !
Enfin, progressivement, les membres d'une mystérieuse organisation, l'EZIC, viennent prendre contact avec vous dans le but de vous demander de l'aide pour faire tomber le gouvernement en place. Accepterez-vous de les aider ? Accepterez-vous leurs pots de vin ? Et jusqu'où pourrez-vous jouer ce double jeu sans que cela ne se remarque ? Et si vous manquez de discrétion, qu'adviendra-il de vous ? Quelles en seront les conséquences pour vous et vos proches ? Heureusement, le jeu propose un système de sauvegardes découpées, permettant éventuellement de revenir plusieurs jours en arrière sur sa partie afin de modifier des choix que l'on aurait fait à ce moment, créant ainsi un "arbre" de sauvegarde d'où on peut poursuivre sa partie par différentes branches. Idée très bien pensée !
Esthétiquement
Visuellement, le jeu se présente sous une esthétique 8 bits du meilleur effet.
La charte graphique utilisée (les couleurs froides, majoritairement en teinte de bleu, de gris et de marron) créé une ambiance froide et austère parfaitement conforme à la représentation que l'on peut se faire, par exemple, des états communistes tel que la Russie du temps où elle s'appelait encore URSS (je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans…).
La bande sonore adoptée va dans le même sens, à base de percussions et de cuivres (reproduits façon 8 et 16 bits). Les musiques se font lentes et lourdes à la manière d'une marche militaire, tandis que les sons représentant les voix des personnages, sont très brefs, froids et sans émotion. Vos paroles, tel que le simple "Papers, please" (« Papiers, s'il vous plait » en français) que vous adressez aux voyageurs de passage pourrait tout aussi bien sortir de la boite vocale d'une machine qu'on y verrait aucune différence. L'ambiance voulue terne et froide du jeu n'en est que renforcée !
L'ensemble visuel et sonore retranscrit le climat dépressif de rudesse et d'austérité qui transpire aussi bien du gouvernement en place à Arstotzka que du moral des citoyens que l'on va rencontrer tout au long de la partie.
Pour 9€ (hors promotion), ce « petit jeu » original se révèle, malgré son apparente simplicité et sa répétitivité dans la fonction exercée par notre avatar, particulièrement addictif et d'une profondeur surprenante.
A condition de passer outre le premier contact, d'où ressort justement cet aspect répétitif trompeur de la « vérification standard » à réaliser sur les individus se présentant à vous, le jeu amène, au travers d'un point de vue original, une vraie réflexion au joueur à la fois sur les régimes totalitaires en général et sur les choix à faire malgré le poids des conséquences qui vont en découler.
Papers, Please amène des questions sur des thématiques telles que l'individualisme, la loyauté de l'individu, sa cupidité, ou encore sur des sentiments comme la culpabilité ou l'empathie envers ses congénères. Ces questions deviennent de plus en plus récurrentes et pressantes au fur et à mesure que le joueur progresse et que les jours passent (une partie complète durant 1 mois de la vie de votre personnage).
Loin d'être aussi simple qu'il le laisse penser (Le jeu propose 20 fins différentes !! Mais seules 3 ne sont pas en réalité des game over vous conduisant le plus souvent en prison ou au cimetière), « Papers, please ! » ne laisse découvrir sa profondeur qu'au joueur qui voit plus loin que la simple partie de 5 - 10 minutes. Le jeu ne s'apprécie qu'au fur et à mesure de la progression dans les parties et des variantes de décisions prises (en particulier grâce à ce système de sauvegarde « en tiroirs » bien pensé).
Un jeu intelligent, intéressant et original à découvrir absolument !
Verdict : 9/10
Papers, Please! est un jeu développé par Lucas Pope sorti le 8 Août 2013 sur PC puis décliné sur Mac, Linux et PS Vita.
Auteur : Frédéric Bertrand
CorrespondantGrand couillon qui s’amuse autant que possible en s’intéressant à pleins de trucs. Il y a pléthore de choses qui me passionnent (photos, dessins, hi-tech, moto, rock, jeux vidéos, etc...) Ah, si j'avais plus de temps à leur consacrer... Mon petit blog perso (remis a jour pratiquement a chaque tremblement de terre) : http://unleashed-sonic.blogspot.fr/
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