La nouvelle est aussi décevante que surprenante : deux jours après que la nouvelle ait fait le tour du web, la version HD du premier niveau de Super Mario 64 réalisé par des fans vient d’être retirée suite à une plainte. C’est la branche américaine de Nintendo qui a lancé une demande d’atteinte aux droits d’auteur envers l’hébergeur (CloudFlare) du site qui en faisait la promotion. Ne préférant pas entrer dans une bataille judiciaire, Erik Roystan Ross, le créateur de cette démo, a préféré retirer le jeu. Seule la version PC peut être encore téléchargée ici et là sur Internet. Décryptage.
D’un point de vue légal
Techniquement Nintendo est dans son droit. Il n’y a rien à ajouter sur le fait que toute utilisation de la propriété intellectuelle d’un tiers sans son accord est illégale. Autrement dit tout fan service, tout cosplay, toute création reprenant des oeuvres sous licence est susceptible d’être attaqué pour atteinte au copyright. Dans les faits, le pouvoir publicitaire des fan-arts ou des conventions de cosplayeurs est tel que les éditeurs les encouragent même, jusqu’à sponsoriser certaines plateformes ou événements.
Ceci étant, et c’est là le côté malsain du copyright, le détenteur du droit de propriété intellectuelle a pratiquement tous les pouvoirs sur ce qui est fait de son oeuvre (il peut donc demander le beurre et l’argent du beurre).
Alors évidemment, un long procès (surtout aux USA) entre Nintendo et Erik Roystan Ross ne donnerait pas forcément raison à l’éditeur. Un artiste peut invoquer le droit de reprise, voire de détournement (il existe de nombreuses subtilités dans le droit américain comme dans le droit français, même si les deux sont très différents) et de nombreux procès ont donné raison aux défendeurs ces dernières années. Mais il s’agit d’un processus long et coûteux dans lequel un particulier ne peut s’engager, surtout que la victoire n’est absolument pas assurée face à une multinationale.
D’un point de vue moral
Il s’agit là d’une absurdité la plus totale ! Nintendo jouit d’une énorme communauté de fans qui soutiennent cet éditeur historique même dans les moments les plus difficiles. Si dans les périodes creuses Nintendo n’a pas mis la clé sous la porte c’est, entre autres, parce qu’il existe une énorme communauté de fans qui font la promotion et achètent en masse les jeux et icônes inventés par le japonais. Les stars comme Mario ou Link sont pratiquement entrés au panthéon de la pop culture mondiale : tout le monde dessine ou tague des triforces dans les coins de rues ou sur les dessous de table.
Si l’éditeur historique commence à s’attaquer à ses clients, c’est sur son propre fond de commerce qu’il tape. Nintendo se tire littéralement une balle dans le pied en insultant ses plus fidèles fans, ceux qui sont prêts à consacrer de nombreuses heures de leurs journées pour faire revivre un jeu inoubliable. L’éditeur a agi avec froideur et il est lamentable de voir ce genre de réaction de nos jours (à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, big N aurait pu surfer sur le phénomène pour se faire une belle autopromotion).
Entendons-nous bien : bien que non autorisée, la version Super Mario 64 HD ne proposait qu’un seul niveau du jeu (et sans étoiles), sur la vingtaine que propose l’originale. Il est assez évident que la qualité de cette démo ne pouvait qu’inciter les gens n’ayant jamais joué à la version originale (ouh les vilains) à s’y essayer. Difficile de voir autre chose qu’une belle publicité pour ce chef d’oeuvre qui est disponible à la vente sur le Nintendo eShop.
Cette décision est tout à fait regrettable, et ne peut que rappeler certains errements de la compagnie Apple, elle aussi soutenue par un nombre impressionnant de fans inconditionnels qu'il n'est pourtant pas impossible de décevoir. Les gens qui soutiennent l'une où l'autre de ces multinationales ont avant tout un lien sentimental avec elles, il est donc plus facile de les détourner avec ce genre de politiques qu'avec un produit plus ou moins réussi.
Auteur : Thomas Daveluy
Spécialiste Game DesignAprès une formation scientifique, Thomas a effectué un virage à 180° pour s’engouffrer dans un cursus artistique. Cinq années d'école d'art l'ont alors convaincu que le jeu vidéo était une forme qui méritait ses lettres de noblesse mais qui était encore mal accepté par l'Académie. Sans cesse partagé entre l'art et la science, Thomas a trouvé dans le jeu vidéo le terrain d'expérimentation idéal : quel meilleur média que celui combinant des bases très techniques et un champ artistique à part entière ?
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