Le free to play, de Facebook aux smartphones, la mécanique de l'arnaque

S’il est un fait indéniable concernant la diffusion du jeu vidéo auprès du grand public, c’est que l’arrivée des smartphones et des réseaux sociaux ont été des éléments cruciaux dans sa démocratisation. Cela a été une bonne chose qui a à la fois démultiplié les manières de jouer mais aussi dans celle de faire des jeux, tant les outils de développement se sont démocratisés. En revanche, cette ouverture au grand public a aussi entraîné un autre côté bien plus sombre : celle des jeux viraux en free-to-play tels que Candy Crush, Farmville et consorts. Autant de jeux qui sont connus pour leur potentiel addictif et l’immense succès qu’ils ont rencontrés.


A ses débuts, le jeu vidéo n’était pas réellement démocratisé. Il était réservé à un public assez restreint et très ciblé. La barrière générationnelle était sans doute une des plus forte : il était très rare de voir une personne de plus de 40 ans jouer à un jeu vidéo. Les premières consoles (ou premiers ordinateurs) axaient à la fois leur communication sur des aspects très techniques (un nouveau processeur 16 bits, la révolution !) et ciblaient un public adolescent (avec des boutons et des lunettes à double foyer en option).


 

Avec l’arrivée des réseaux sociaux et des smartphones, un nouveau secteur est apparu : celui d’un espace de jeu réservé à un public plus élargi. Aujourd’hui la majorité des gens, tout âge ou sexe confondu, possède un compte Facebook ou un smartphone (même tante Jeanine like des photos de chat entre deux parties de Farmville).

Les éditeurs de jeux ne se sont pas fait prier pour y développer des jeux plus en accord avec un public néophyte, moins technophile. Mais pour attirer ce public, des arguments techniques, basés sur le gameplay ou le level-design, sont absolument sans effet. C’est du moins ce qu’ont pensé les éditeurs qui ont adaptés et proposés des concepts plus simples et plus attractifs. En partant sur des mécaniques basiques et éculés (jeux de cartes, jeux de casse-tête/réflexion, etc.), ils ont massivement axé leurs jeux sur du free-to-play (jeu gratuit mais avec des options payantes) qui, comme vous le devinez facilement, se transforme rapidement en pay-to-win (obligé de débourser une somme d’argent conséquente pour pouvoir progresser et finir le jeu).

 

Pour la ménagère de 50 ans

Lorsque l’on est un joueur confirmé (j’entends par là d’avoir un peu suivi l’évolution du jeu vidéo depuis les années 80-90) on est très surpris par le succès de ces jeux tant ils sont des copiés-collés de hits déjà bien connus. Candy Crush n’est qu’une bonne grosse copie de Dr. Mario qui était lui-même une évolution de Tetris. Aussi il est certain que ces jeux free-to-play ne ciblent pas ce type de joueur tant le peu d’inventivité et la platitude du gameplay ne peut les atteindre. Et ce n’est sûrement pas les petits coeurs roses ou les bonbons multicolores ultra-kitchs qui vont réussir à tenter un aficionados de Tetris scotché à sa Game Boy depuis plus de 20 ans (nostalgie quand tu nous tiens).

Si l’on regarde les chiffres, les principaux clients de ce genre de jeux sont des gens dépassant la quarantaine et un public plutôt féminin. Nous revenons une fois encore sur cette bonne vieille ménagère de 50 ans. Evidemment cette ménagère n'existe pas vraiment, il s'agit d'une appellation qualifiant un public peu exigeant et souhaitant se divertir sans réfléchir. La télévision s’est crue obligée de s’adapter à ce public en se transformant en l’immonde bouse audiovisuelle que l’on connaît, il n’y avait donc aucune raison que le média vidéoludique de masse ne s’y précipite pas. Il s’agit d’un cliché, mais malheureusement les chiffres sont là et les éditeurs, bien trop occupés à investir dans des produits bankables, se sont bien gardés de tenter de proposer des choses originales, mais risqués.


 

Addiction ou manipulation ?

Beaucoup de joueurs se disent être accros aux jeux viraux. Soyons bien clair, le jeu vidéo n’est pas et ne sera jamais une drogue ! Inutile de s’attarder sur une question aussi vieille que le monde : avant le jeu vidéo on a rendu coupable le cinéma de rendre les gens violents ou les livres de déconnecter les lecteurs de la réalité (rappelez-vous que dans Don Quichotte de Miguel de Cervantes, le héros devient fou et croit que les moulins sont des géants parce qu’il a trop lu de livres).

Malgré tout, le jeu vidéo peut être un vecteur d’addiction lorsqu’il est utilisé avec des mécaniques de conditionnement somme toute assez bien connues. Ainsi, les développeurs du jeu peuvent employer des stratégies pour manipuler le joueur en se basant sur des rapports de frustration bien dosées. Il s’agit donc bien plus de manipulation qu’autre chose.

La mécanique des jeux comme Candy Crush est simple et se passe en plusieurs étapes :
 

Étape 1 : les premiers niveaux doivent être faciles.

Il faut donner un maximum d’assurance au joueur, en lui donnant l’impression de maîtriser sa partie et la satisfaction de la réussite. Ces jeux n’hésitent pas à le caresser dans le sens du poil en le félicitant régulièrement malgré l’abrutissante facilité des niveaux. Si les premiers niveaux sont trop difficiles la plus grande partie des gens abandonneront. D’un point de vue psychologique ils doivent faire rentrer dans l’inconscient du joueur que le monde dans lequel il évolue est un monde rassurant qui génère de la satisfaction.

Étape 2 : augmenter la difficulté de manière brutale.

Passé un certain cap, la difficulté va aller croissante de façon bien trop rapide de manière à ce que le joueur se retrouve réellement mis en échec. Après la carotte, le bâton : le joueur va forcément se retrouver coincé et devra faire face à un choix : arrêter de jouer ou s’ouvrir à des solutions alternatives. Cette étape se fait sans risque puisque le joueur est déjà conquis par le jeu (il veut encore ses carottes) : il n’y a pratiquement aucune chance qu’il s’en aille à ce moment là. Et c’est maintenant que les mécaniques bien rodées vont transformer un joueur en client bien rentable.

Étape 3 : rentabiliser l’offre quand le client est bien mûr.

Ici c’est la stratégie commerciale du studio qui va dominer. En gros selon ses besoins financiers ou marketing, le studio proposera quatre solutions au joueur en difficulté : faire le tapin en faisant la promotion du jeu auprès de ses amis pour gagner des vies ou des items, se faire racketter en payant pour passer des niveaux / abaisser la difficulté, se vendre en acceptant des offres commerciales ou encore devoir attendre une longue période de temps avant de pouvoir rejouer.


 

Si c’est gratuit c’est que c’est très cher !

Concernant Candy Crush, 40% des joueurs qui arrivent aux derniers niveaux ont dû mettre la main au portefeuille pour y arriver[1]. Les autres auront probablement choisi les autres alternatives en polluant les réseaux sociaux de demandes de partage pour gagner des vies.

Ces jeux ne ciblent pas au premier abord les joueurs acharnés ou cherchant du challenge : ils vont les créer pour lancer par la suite une énorme machine commerciale bien rôdée.

Ce principe, qui porte le nom de monétisation coercitive[2], n’est pas nouveau. Cela a toujours existé. Entre autres, du temps d’Atari, il n’était pas rare de devoir débourser de l’argent pour avoir de nouveaux items ou autre. A une autre échelle, les jeux comme Second Life usaient très clairement d’une méthode plus poussée, en introduisant une véritable monnaie virtuelle pour pouvoir acheter/vendre/échanger des objets dans le jeu. Le souci avec les jeux viraux n’est pas leur aspect financier, mais la malhonnêteté avec laquelle ils rackettent le joueur en le transformant à la fois en objet de publicité et en une grosse vache à lait s'il souhaite pouvoir profiter pleinement du jeu.
 

Le degré 0 du jeu vidéo…

En théorie, un jeu digne de ce nom pousse le joueur à augmenter ses compétences (c’est ce que l’on appelle le skill level dans le jargon). Le principe est simple : plus on joue, plus on arrive à une certaine maîtrise du gameplay. De cette manière, plus le joueur s’entraîne, plus il est à même d’affronter des niveaux de difficulté supérieure.

Dans les jeux free-to-play, le skill ne sert pratiquement à rien. Ces jeux sont grossièrement basés sur la chance et la difficulté est augmentée artificiellement en réduisant certaines mécaniques (réduction du timer, augmentation des éléments restrictifs). Pour passer les niveaux difficiles le joueur devra compter non pas sur ses compétences mais sur son acharnement. Si la flemme ou l’agacement l’emporte, il suffira de passer à la caisse pour continuer l’aventure.

Au final ce genre de jeu ne propose rien. Absolument rien. Il s’agit d’un vulgaire concept de scoring (faire le plus de points possible) tel qu’on pouvait le retrouver sur les bonnes vieilles bornes d’arcade. Il est dans la nature de l’être humain d’en vouloir toujours plus et ces types de mécanismes sont clairement réfléchis dans ce sens. Ces jeux, aussi inutiles soient-ils (de part l’expérience qu’ils délivrent), font fonctionner le cerveau reptilien en jouant sur les concepts de conservation et d’accumulation. Au final la satisfaction de l’évolution du score n’est qu’un héritage de la volonté primitive de faire des réserves pour assurer sa propre survie. La recherche de la performance et du score n'est pas un souci tant que l'expérience est maîtrisée par le joueur. Cela devient beaucoup plus problématique quand ces mécanismes sont utilisées contre le joueur pour le transformer en portefeuille.

Heureusement, il existe et existera toujours un pan immense dans le secteur du jeu vidéo, avec des oeuvres qui proposent une véritable expérience interactive et tentent d’offrir au joueur bien plus que de la frustration monétisable. Et ce genre de jeux n’est plus destiné uniquement qu’aux technophiles, le jeu vidéo de qualité ayant depuis bien longtemps su se diversifier en s’adressant même aux néophytes… du moins à ceux qui ne tombent pas dans le panneau des publicités déguisées proposées par leurs amis sur Facebook.



[1] http://www.metronews.fr/high-tech/candy-crush-saga-nous-sommes-les-premiers-surpris-par-le-succes/mmko!6P9kWcc0JcGi2/

[2] http://www.gamasutra.com/blogs/RaminShokrizade/20130626/194933/ (EN)

Commentaires

Portrait de Dyades

Ca fait du bien de lire ce type d'article.

Pour ma part, dès que j'ai vu qu'il fallait payer ou polluer les murs des autres, je n'ai plus mis les mains sur ces saletés de bonbecs !

Portrait de Guillaume Jolly

Il n'y a qu'un point sur lequel je suis en désaccord.

Candy crush n'est pas vraiment une copie de Dr Mario ou Tetris. C'est une copie de Bejeweled ! (A défaut de connaitre un ancètre dont Bejeweled serait la copie).

Tetris et Dr Mario ont des mécaniques de jeu bien différente. Le premier demande de completer des lignes pour augmenter le score et vider le tableau (pour ne pas finri en game over), le 2e demande de cumuler 4 demi pastilles de la même couleur pour faire de la place ou éliminer des virus (avec une couleur et la taille d'une demi pastille).

Si on devait trouver un ancètre qui s'en rapproche un peu plus, on pourrait citer Columns, dans lequel on cherche à aligner au moins 3 blocs de couleur pour les faire disparaitre et survivre à la tétris sachant que de nouveaux lots de blocs tombent régulièrement.

Là où la copie est flagrante c'est avec Bejeweled qui propose un tableau rempli de gemmes de couleurs différentes et où on permute des gemmes afin d'en aligner 3 ou plus de la même couleur. Il suffit de remplacer "gemme" par "bonbon" et on a la description de Candy crush.

Candy crush rajoute des super pouvoirs, ce que des clones de Bejeweled avaient déjà fait avant, ainsi qu'une partie "objectif" permettant de terminer un tableau pour passer à un autre (déjà vu par d'autres clones également).

Portrait de Shadam

@Guillaume Jolly : J'irais bien plus loin que vous, je pense pour ma part que TOUS les jeux de King sont des copies d'autres jeux :
- Candy Cruch => Bejeweled
- Bubble Witch Sage => Puzzle Bobble
- etc...

Là où ils ont fait très fort c'est d'arriver à cloner leur propres jeux, ainsi Lorsque le "folie" Candy Crush c'est estompée ils ont sorti Farm heroes. Et le pire c'est que ça marche, ma femme est passée de Candy crush à Farm heroes en s’exclamant "Oui ! Ils ont sorti un nouveau jeu !". Je n'ai malheureusement pas réussi à lui faire comprendre que c'était le même jeu.

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