5 moments clés de la carrière de John Romero et John Carmack

Même si le milieu du jeu vidéo génère plus de revenus que la musique ou le cinéma, ses auteurs ont rarement le rayonnement de rock stars. A moins d'être Le MaSQuE ou d'être fortement passionné par le sujet, vous aurez beaucoup de mal à me dire qui est reponsable de l'IA dans Age of Empires ou qui a bossé sur le level design d'Uncharted. Il y a pourtant deux génies qui, il y a 20 ans de cela, ont bien failli atteindre ce statut d'icône. Et soyons honnêtes ils n'en sont pas loin, puisque leurs noms vous disent déjà quelque chose : John Romero (à ne pas confondre avec Georges) et John Carmack, qui fait encore l'actualité aujourd'hui en tant que responsable du projet Oculus Rift. Alors, qu'ont réalisé ces deux messieurs pour avoir atteint un statut d'incontournable chez les gamers? Evidemment, ce dossier ne pourra pas être exhaustif, tant leur parcours est riche. Cependant, cet article est là pour vous rappeler que pour se faire un nom dans le milieu du jeu vidéo il ne suffit pas d'avoir une idée : il vous faut aussi une vision.

SoftDisk et le portage PC de Super Mario Bros 3

L'histoire commence avec Alfonso (si si) John Romero, jeune programmeur qui, à l'heure de gloire de l'Apple II, a le vent en poupe. Enchaînant les succès debut 1980 avec des jeux comme Cavern Crusader, il abandonnera sa première entreprise Capitol Ideas Software pour rejoindre SoftDisk, dont le concept était de publier des magazines sur disquettes. Son idée en tant que programmeur dans la section Special Projects était d'adapter sur micro-ordinateur les plus grands succès console du moment. Dans cette optique il recrute un jeune programmeur de génie, John Carmack, ainsi qu'Adrien Carmack (aucun lien, le monde est petit) et Tom Hall (sans le déclarer au début, il commencera par travailler dans les bureaux la nuit). Leur première tentative sera d'adapter le hit Super Mario Bros 3, en remplaçant le plombier par une des premières égéries de Romero, Dangerous Dave. Leur jeu, Dangerous Dave in Copyright Infringement ("Dangerous Dave viole les droits d'auteur") sera présenté à Nintendo qui lui réservera un accueil glacial. Le jeu n'est pas graphiquement une réussite suprême, et quand bien même le japonais n'a aucune intention de reproduire l'erreur d'Amiga en bradant sa mascotte.

Dangerous Dave in Copyright Infringement

Ce revers ne sera pas pour autant une perte de temps, puisque le moteur et les travaux de Carmack seront la base du premier succès de l'équipe : Commander Keen. Les aventures de cet enfant de huit ans voyageant dans l'espace et le temps seront un énorme hit qui se déclinera en de nombreux épisodes les années suivante. Un des points forts de la licence c'est le fameux Adaptative Tile Refresh, inventé par Carmack. Pour compenser la faible puissance des processeurs de l'époque, cette technologie permettait de repérer les textures qui se répètent le long du niveau, afin de les déplacer avec le personnage au lieu de les redessiner sans cesse. Cela fera de ce jeu de plateformes un des plus fluides de sa génération.

id Software et les premiers FPS

Forts de ce succès, les quatre amis fondent id Software en 1991 (sans complètement tourner le dos à SoftDisk, qui restera leur éditeur ), avec une nouvelle vision : le jeu vidéo a besoin d'une troisième dimension. Au risque d'en surprendre certains, le fameux Wolfenstein 3D est loin d'être le premier fait d'armes de l'équipe, qui fera plusieurs essais plus ou moins fructueux l'année de la fondation d'id. On peut retenir Hovertank 3D, représentant la base de ce que veulent les deux Johns pour leurs futurs jeux : une vue à la première personne, un environnement 3D, ainsi que quelques idées piochées ça et là comme la minimap, la gestion des dégâts et la limite de temps.

Hovertank 3D

Catacombs 3-D, la même année, apporte surtout des évolutions cosmétiques au concept (grâce à l'immense travail d'Adrien Carmack) et perfectionne également le jeune moteur du jeu. A cette époque, les deux Johns ont littéralement pris la place de leader dans le processus de création, et représentent un combo qui fera leur succès présent et futur. Romero, avec ses cheveux longs et son look atypique, représente l'aspect créatif du duo : tous ses univers sont à la fois inspirés et sombres, remplis de créatures mystiques ou mutantes. Ainsi les mondes dans lequel évoluent les joueurs seront toujours à la page, voire en avance sur les tendances du moment, que ce soit au cinéma ou dans les autres médias. Carmack, de son côté est un véritable génie du code. Diagnostiqué à 14 ans comme "individu n'ayant aucune empathie pour ses congénères", il représente le côté froid et technique indispensable à la réalisation d'une oeuvre vidéoludique. Sa technique de répétition des textures ou le premier moteur 3D destiné aux jeux id Software permettront de donner vie aux concepts de son collègue, avec qui il va bientôt révolutionner le jeu vidéo.

L'équipe d'origine d'id Software

 

Wolfenstein 3D et l'heure de gloire

Sorti en 1992 sous DOS, Wolfenstein 3D incarne à la perfection l'esprit de John Romero. Il est inspiré du jeu d'infiltration Castle Wolfestein de Silas Warner (un autre programmeur populaire à l'époque de l'Apple II), et propose un savant mélange de gore, de frissons et de reflexion. Le tout bien sûr, enrobé avec le culot et la provocation que le programmeur aime tant. Contrairement au softs futuristes ou heroic fantasy qui le précèdent, Wolfenstein 3D est cette fois une uchronie, à savoir que les évènements ont lieu durant la seconde guerre mondiale mais que peu d'éléments du scénario ou du design collent à la réalité historique.

Wolfenstein 3D

Au delà de l'aspect révolutionnaire de ce FPS qui posera les bases du genre pour les années à venir, le succès de ce Wolfeinstein est définitivement imputable au génie des deux Johns. D'abord grâce à l'aspect technique brillant, résultant d'un moteur travaillé et perfectionné pendant près de trois ans, mais aussi de par la manière dont le jeu a été distribué. Dès les premières étapes de création, Carmack alloue 100.000 dollars à la création d'une version shareware. Ancêtre de la démo, c'était une version de démonstration offerte par des magazines ou vendue dans certains magasins, proposant souvent le déblocage du jeu complet grâce à un code. Cette distribution massive ainsi que la controverse importante née de la violence et de l'imagerie nazie achèveront de propulser le shooter au top des ventes.

John Romero

Cependant, les deux Johns resteront frustrés du résultat final, auquel ils ont dû amputer pour des raisons techniques de nombreuses idées révolutionnaires : infiltration, localisation des dégats, multijoueur... Les innovations de Romero avaient dû être sacrifiées à la fluidité d'ensemble. La technologie avançant aussi vite que Carmack était doué, id Software était pourtant sur le point de réaliser le jeu de ses rêves.

De Doom à Quake, la consécration 

 

Doom

Encore plus populaire que Wolfenstein 3D, emblême d'une génération et pendant longtemps d'un genre (le Doom-like, aujourd'hui appelé FPS), Doom sort en 1993 et explose tous les records. Distribué d'abord en exclusivité sur des plateformes de téléchargement ainsi qu'en shareware, il passe en deux ans dans les mains de plus de 30 millions de joueurs, devenant aux yeux de certains le Tetris du jeu de tir à la première personne. Les raisons de ce succès sont multiples, et encore une fois à attribuer aux deux leaders d'id. 

  • Carmack crée le Doom Engine, amélioration du moteur précédent apportant un réalisme et une fluidité inégalée pour les jeux de l'époque. Celui-ci inclut des concepts comme le balancement des armes ou la possibilité de surprendre des ennemis par derrière. D'autres innovation viendront s'ajouter à ce soft incroyable comme un vrai multijoueur via modem, ou la possibilité de modder (éditer ou remplacer des parties du jeu), grâce à laquelle une solide communauté de fans persiste encore autour de la licence.
  • Romero apporte l'ambiance et le scandale, d'abord en réduisant le principe du jeu à sa portion congrue : tuer des monstres. Sombre et glauque, l'univers de Doom se veut minimaliste et le programmeur s'est débarrassé d'une partie des implémentations de son ami Tom Hall (comme l'intervention de personnages secondaires) afin de rendre l'expérience le plus intense possible. Il saura ensuite utiliser la mauvaise publicité que lui font certaines associations à son avantage. Certains groupes parlent en effet (et c'est assez nouveau à l'époque) de problèmes d'addiction et de comportements violents à cause du jeu. Afin d'amplifier la rumeur, Romero affirmera qu'il a lui-même souffert de ces symptômes durant l'élaboration du soft.

Suivront quelques titres d'excellente facture mais moins innovants comme Rise of the Triad ou Hexen, mais le soft que tous les joueurs attendront pendant des mois sera Quake, sorti à l'été 1996. Poussant la formule à son paroxysme, id Software lance le shareware en juin et fera attendre les fans un mois entier avant de proposer la version complète. Encore une fois la patte des deux hommes fait de ce jeu un incontournable : entièrement optimisé pour les cartes graphiques de l'époque, intégralement modélisé en 3D, le jeu sera aussi encensé pour son ambiance ultra réaliste grâce à l'intervention de Trent Reznor, figure du rock industriel débauchée par Romero.

Quake

Ion Storm et le clash des titans

A ce stade, les deux hommes sont multimillionnaires, et de nombreuses théories circulent quant à l'origine et la gravité de leurs divergences. Ce qui est une certitude, c'est que les deux visions, les deux concepts qu'ils portaient n'ont cessé de s'opposer au fil des années, Carmack misant tout sur la technique quand Romero voulait toujours implémenter plus d'idées révolutionnaires, parfois en décalage avec la réalité du marché. C'est d'ailleurs ce dilemme qui départagera les deux hommes à la fin des années 90, ne laissant qu'un des deux rivaux debout.

L'arrogance de John Romero
en image.

Fin 1996, peu après l'immense succès de Quake, Romero quitte id pour fonder Ion Storm. Il installe ses bureaux à Dallas dans une débauche de luxe et d'excès toute à son image, et très vite cela devient personnel. Pendant que Carmack planche sur Quake 2 en peaufinant le moteur mais surtout les fonctions multijoueur, son nouveau rival compte réaliser le rêve dont on l'a toujours privé : un jeu à sa mesure. Annoncé début 1997, Daikatana se veut être la bombe qui pulvérisera le monde du jeu vidéo. Finies les démonstrations techniques, les contraintes graphiques, Daikatana c'est tout ce que vous aimez, en plus grand. 24 niveaux, des dizaines d'armes et d'ennemis différents, plusieurs époques, ce FPS est présenté comme une révolution. Alors que les premières démonstrations du Quake Engine font bonne impression à l'E3 1997, le développement du bébé d'Ion Storm souffre des revirements et de la mégalomanie de son créateur. La démo technique, changée au dernier moment sur un coup de tête, ne tournera qu'à 12 images par secondes (le minimum admis pour un FPS étant de 30), et la campagne de publicité arrogante de Romero ne poussera personne à la clémence.

 

Daikatana

Quake 2 est lancé à temps pour les fêtes de fin d'année, et son succès dénote avec le flop de Daikatana qui est repoussé d'un an. Quand le jeu d'Ion Storm sort enfin en 2000 (après deux nouveaux reports, la démission de trois chefs de projets, un changement de moteur graphique et deux renouvellements complets d'équipe), c'est Quake 3 Arena et Unreal Tournament qui ont le vent en poupe. Dépassé, tant au niveau technique que dans son concept, sorti trop tard, Daikatana est un échec cuisant, une déception pour tous les fans et un gouffre financier. Seules 200.000 copies du jeu seront vendues, et si John Romero affirme qu'elles lui ont permis de rentrer dans ses frais, il quittera tout de même sa compagnie sans gloire l'année suivante.

Beaucoup aujourd'hui pleurent la séparation des deux John, arguant qu'ils sont incapables de produire séparément un soft inoubliable. Si Doom 3 a été par exemple une réussite commerciale, on lui reprochera aussi d'être un jeu sans vision, manquant d'inspiration ou de profondeur. John Romero, de son côté, ne fait plus beaucoup parler de lui et se limite à des participations sur certains projets comme des jeux mobiles. Ils auront en tout cas marqué leur génération par leur avant gardisme, leur culot et leur subversion, et restent un des rares cas d'osmose aussi réussie entre la créativité et le génie. A une époque où quelques hommes pouvaient encore marquer une compagnie de leur vision, ils étaient comme le Yin et le Yang, un équilibre entre art et technique bien difficile à retrouver de nos jours.

Le Top 5 est maintenant bi-hebdomadaire, rendez-vous jeudi pour de nouvelles aventures!

Commentaires

Portrait de Chaz Kramer

Tout à fait d'accord avec le début de l'article les créateurs dans le JV ne sont pas assez mis en avant, quand il m'arrive de regarder game one je rage de voir les producteurs (au lieu des développeurs) des jeux être interviewer sur le jeu en question par le journaliste de game one. Sinon on peut se consoler pour ce qui est des compositeurs de musiques de jeux vidéos ils sont plus connus notamment les Japs.

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