A peine plus discrets qu'une cible en rouge avec inscrit 1000 points en son centre, les nazis dans les jeux vidéos apparaissent comme un des plus importants clichés du média vidéoludique.
De Wolfenstein à The Saboter, les nazis semblent être une source inépuisable de scénarios offrant au joueur la possibilité de se donner à coeur joie dans le tir au canard (ou à l’aigle dans le cas présent). Pourtant, contrairement à la littérature ou au cinéma, le média vidéoludique ne semble présenter les nazis que sous cette forme de cible mouvante, sans jamais réellement évoquer la période sombre de l’histoire à laquelle ils font référence.
Est-ce par pudeur, par peur de mettre le doigt sur une corde encore très sensible ou par simple fainéantise des éditeurs, visiblement décidés à rééditer encore et encore les même clichés tant qu’ils restent rentables ?
Un peu de fainéantise
Il y a dans le monde vidéoludique de très nombreux exemples d'ennemis didactiques, qui, par leur design, donnent des informations implicites sur leurs motivations et leurs faiblesses (une zone rouge sur le sommet du crâne d’un boss laisse à penser que son point faible est à cet endroit là). Le nazi est clairement un des plus simples : il faut le cribler de balles et savoir appuyer sur le bouton tir est à peu près le seul pré-requis demandé au joueur.
Gain de temps en terme de développement scénaristique, il est tout naturel pour un studio de se sentir attiré par ce type de méchant. Un nazi, une grosse arme et le gameplay est lancé. C'est qu'un scénario ça coûte cher alors pourquoi s'embêter à développer une histoire autour d'un ennemi complexe, à la psychologie profonde, pour au final le faire mourir en un clic de souris ?
Non, très clairement, si l’on veut offrir au joueur un jeu qui se prend en main en quelques secondes et qui ne s’embarasse pas de scénario, le nazi reste une valeur sûre.
Même les jeux comme Wolfenstein, The new order, qui tentent maladroitement de coller un scénario à leur univers rempli de nazis, retombent directement dans une abrutissante facilité scénaristique : « Allez-y, tuez tous les nazis ! » vous ordonne un personnage lors d’une des toutes premières missions du jeu. Difficile de faire plus simple...
Sans prise de risque on se ringardise
Un jeu avec des SS offre un défouloir basique : on peut critiquer le sens moral des licences comme GTA où l'on peut écraser des civils en roulant à 100km/h en ville, mais lorsqu'il s'agit de casser du nazi, personne n'y trouve rien à redire (et c’est tant mieux pour les joueurs).
C’est qu’on peut enfin se lâcher et laisser libre cours à ses plus bas instincts sans heurter la moindre seconde le bon sens de la morale. Le nazi a le mérite de mettre tout le monde d'accord : on peut bien tout lui faire, y compris les pires tortures, cela ne pose pas de problèmes d’éthique. Personne n’a vu d’association de parents défiler à cause d’un nazi tué de manière trop violente dans un jeu.
C'est que, depuis le temps, le nazi est devenu dans la tête des joueurs un PNJ sympathique. On se souvient tous de cet ennemi avec son IA à la ramasse, son agressivité en carton, son relooking parfois de mauvais goût. Il y a aussi celui qui reste bloqué dans la porte et sur lequel on s’amuse à tirer un peu partout pour essayer de le faire encore plus buguer.
Le truc c’est qu’au fil des années le filon se tarit. Les jeux de tir au nazi se font de plus en plus rares et leur qualité est souvent bien déplorable. C’est que le concept est usé, presque ringard. Tuer du nazi dans un jeu c’est un peu comme regarder un film de Dolph Lungreen des années 80 ; ça sent bon la nostalgie, mais c’est devenu finalement assez poussiéreux…
Alors les éditeurs font monter la sauce en essayant de proposer du contenu toujours plus choc : dans Wolfenstein, The New Order par exemple, vous êtes invités à torturer à la tronçonneuse un général SS sans la moindre pudeur. Le Nazi devient ainsi le passe-droit ultime pour décharger toute la violence qui fait bien vendre un jeu. Et c’est à peu près tout...
Un peu d’hésitation et des soucis légaux
Il y a autre chose de très éloquent dans l'univers vidéoludique : si certains jeux permettent d'incarner des serial killers (Trevor dans GTA V), des tueurs à gages (Hitman), des criminels (Mafia, etc...), se permettant au passage de vous obliger à tuer ou torturer des gens innocents, pratiquement aucune licence, aucun jeu vidéo, ne vous propose d'incarner un nazi.
C'est que le sujet est sensible, très sensible.
Diriger un nazi dans un jeu pose la question suivante : ne serait-ce pas une manière de rendre plus humain des monstres, dont notre société porte toujours, même 60 ans plus tard, des stigmates encore sensibles ?
Bien sûr, il y a bien quelques rares exceptions comme I have no mouth and I must scream, mais le personnage nazi que l’on pouvait incarner a été retiré en France et en Allemagne (comme quoi ce n’est pas que la faute des éditeurs). Ce jeu, pourtant basé sur une nouvelle de l’écrivain reconnu Harlan Ellison, proposait dans sa version originale de jouer avec un scientifique nazi, ancien tortionnaire, en pleine phase de rédemption. Le jeu ose un pari risqué et livre une vision tout à fait pertinente de ce délicat problème.
Entre l’hésitation des éditeurs et les soucis légaux soulevés par cette question, on comprend déjà beaucoup mieux pourquoi il est possible de jouer à torturer des gens avec Trevor (GTA V) mais absolument pas d’incarner un nazi en pleine rédemption.
Un média trop jeune pour être sérieux ?
Il est incontestable que les nazis - les vrais - sont des monstres. Le devoir de mémoire ne nous fera jamais oublier les horreurs commises par le IIIème Reich. Mais lorsqu'il s'agit d'aborder le fait qu'il s'agit aussi d'humains, incluant le fait que l'Homme est parfaitement capable de ce genre de choses, le sujet devient plus sensible. Les autres formes d'art, probablement aidés par une plus grande ancienneté (ou du moins une position plus légitime au sein de la société), ont déjà souvent posé la question et sont parfois même allés très loin.
Si l’on prend l’exemple du cinéma, un des arts qui tisse le plus de liens avec le jeu vidéo, on peut trouver un nombre impressionnant de films qui abordent le sujet et sous bien des angles : le Ruban Blanc, Amen, Le Pianiste, La liste de Schindler, Diplomatie, American History X, etc...
Les jeux comme GTA et consorts axent leur business model sur le côté choc mais restent bien sages en comparaison avec ces réelles questions. Ils se contentent de brusquer les mamies et les présentateurs de TF1 (ou Mathilde Serrell) mais personne n'est réellement dupe de leur conformisme et de leur vraie-fausse violence.
Au delà du problème spécifique aux nazis, c’est la question de ce qui est tabou dans nos sociétés qui ne se pose que trop rarement dans le jeu vidéo. Certains opus comme Gone Home par exemple y entrent à pas de chat et proposent des oeuvres qui malmènent le joueur en le plongeant dans le malaise des histoires familiales ou du genre humain. Mais malgré la qualité indéniable de ces titres, force est de constater qu'ils sont bien trop rares à poser ce genre de questions.
Le fait de mettre le doigt sur cette période sombre de l'histoire, mettant à nu le genre humain et en présentant ce qu'il peut avoir de plus sombre, demande une grande maturité et une certaine responsabilité. Malgré les lettres de noblesse que le média vidéoludique a acquises ces dernières années, il n'a pas encore réussi à aborder avec force des sujets aussi sensibles. Soit parce qu’il n’a pas osé, soit parce qu’il n’a pas pu, prouvant par là qu’il reste encore bien du chemin pour cette forme artistique, une forme finalement encore très jeune…
Auteur : Thomas Daveluy
Spécialiste Game DesignAprès une formation scientifique, Thomas a effectué un virage à 180° pour s’engouffrer dans un cursus artistique. Cinq années d'école d'art l'ont alors convaincu que le jeu vidéo était une forme qui méritait ses lettres de noblesse mais qui était encore mal accepté par l'Académie. Sans cesse partagé entre l'art et la science, Thomas a trouvé dans le jeu vidéo le terrain d'expérimentation idéal : quel meilleur média que celui combinant des bases très techniques et un champ artistique à part entière ?
Commentaires
Très bon article! mais je trouve qu'il ne s'attarde pas assez sur la censure de ce média, surtout par rapport à l'Allemagne où dès le fait qu'il y ait des nazis, la censure est faite #Wolfenstein.
Les créatifs ne sont pas libres de créer ce qu'il veulent et c'est très dommage, leur vision pourrait apporter beaucoup de chose surtout dans le domaine du jeu vidéo qui est un art auquel énormément de chose reste à exploiter de tous les côtés.
Mais encore une fois c'était un très bon article, j'ai adoré!
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