I have no mouth and I must scream

Le jeu vidéo a cela d'impitoyable que certains très bons titres finissent parfois dans l'oubli. Mais à la faveur du dématérialisé, ces jeux peuvent trouver une seconde jeunesse et conquérir un nouveau public. Paradoxalement, ces mêmes jeux peuvent être des références dans leur genre. I have no mouth and I must scream est de ceux là.

Harlan Ellison présente

Sorti le 31 Octobre 1995, et de nouveau disponible depuis fin 2013, I have no mouth and I must scream ne doit pas son nom à un concours du nom le plus long, mais au fait qu'il est l'adaptation de la nouvelle éponyme. Écrite par Harlan Ellison en 1967, lauréate du prix Hugo 68, elle dépeint la vie de 5 personnes dans un futur post-apocalyptique. Au plus fort de la guerre froide, américains, chinois et russes conçoivent chacun un supercalculateur pour l'affrontement qui se prépare. Un conflit si complexe, que l'homme devra se faire aider par la machine pour triompher. Mais voilà que lorsque l'ordinateur américain s'éveille, il prend conscience de lui même en appliquant le fameux Cogito Ergo Sum​ (je pense, donc je suis). AM, c'est son nom, entreprend alors de faire ce pour quoi il a été conçu, c'est à dire détruire. Il rend la Terre invivable et extermine méthodiquement tous les êtres humains. Tous ? Pas tout à fait. La machine garde en vie 5 survivants et prend soin de les torturer en permanence. Ils ne peuvent se suicider, et AM les a rendus immortels. Cela fait 109 ans que l'ordinateur joue avec eux.

"Lequel d'entre vous veut jouer à mon petit jeu ?"

Le début de la fin

Le jeu et la nouvelle commence donc après ses 109 ans de souffrances pour nos 5 survivants. Les personnages sont les mêmes, mais l'histoire est radicalement différente. Si les adaptations vidéo-ludiques sont très souvent catastrophiques, et plus encore lorsque qu'elles s'éloignent de l'oeuvre originale, I have no mouth and I must scream tire son épingle du jeu par la présence de son auteur dans l'équipe de développement. Le studio The dreamers guild n'est pas entrée dans les annales de l'histoire, mais on pourra au moins lui reconnaître ce sens du professionnalisme. Harlan Ellison a donc activement participé à l'adaptation de sa nouvelle, et prête même sa voix au diabolique AM.

Le jeu commence sur une cinématique durant laquelle AM pose la situation et introduit les 5 humains : Gorrister, Benny, Helen, Nimdok et Ted. Portée par le grand talent d'acteur d'Ellison, cette séquence pose d'emblé les bases de l'univers oppressant du jeu. AM hait purement et simplement l'humanité. Comme il le dit lui même, il est impossible d'utiliser des mots assez forts pour montrer toute cette haine qu'il a contre le genre humain. Car si AM à une conscience et un pouvoir quasi divin, il n'est pas pour autant l'égal de l'homme. Peut-être souffre-t-il de cette situation, et tente-t-il d'extirper ce qui fait la substance de l'humanité en torturant ces derniers représentants. Ou peut-être qu'il n'est qu'un sadique complètement fou. Une chose est sûre, AM est sans doute l'un des meilleur méchant du jeu vidéo, avec ce côté monstre de Frankenstein. Après tout, l'erreur est humaine.

Mais pourquoi est-il si méchant ?

I will survive

Après le sympathique speech d'AM, on retrouve les 5 survivants au pied d'un monolithe représentant l'intelligence artificielle. Elle a décidé de convier tout le monde à un petit jeu malsain dont elle a le secret. Votre mission, incarner tour à tour les 5 héros afin de déjouer les fourberies d'AM. Lorsque l'on choisit un avatar, ce dernier est transporté dans une partie du gigantesque complexe souterrain qu'est la machine. Ici, on nous fait miroiter une possibilité de s'échapper de l'enfer. Mais bien sûr, c'est impossible. Plus que tout autre robot taré de science fiction, qui élimine les humains comme de simples variables d'équations, AM semble éprouver un véritable plaisir à torturer ses jouets de chair. Il connaît leurs histoires, les événements qui les ont traumatisés, leurs peurs les plus inavouées et prend un malin plaisir à se moquer d'eux et à leur construire des univers oppressants. Chacun ressemble à un cauchemar duquel on a l'impression de ne pouvoir sortir. Les environnement, respirent le malaise et une constante menace semble planer sur nos héros. Mais il ne faut pas se laisser abattre, et tenter de contrecarrer AM. Il doit forcément y avoir un moyen d'arrêter tout cela, d'une manière ou d'une autre.

Trop beau pour être vrai ?

En ce qui concerne le gameplay, on a affaire à un point 'n' click classique de l'époque. On déplace son avatar de tableau en tableau et l'on interagit avec différents objets et PNJ à travers différents verbes d'action. Il y en a 8 en tout, dont le très surprenant "avaler". Un portrait de l'avatar, en bas à gauche de l'écran, sert également de feedback pour les actions du joueur. Plus on l'aide, et plus le fond du portrait devient vert. Chaque étape étant accompagnée d'une mine réjouie et d'un superbe petit jingle. A l'inverse, le fond se noirci si on fait des erreurs. Ça peut paraître bête comme mécanique de jeu, mais elle fonctionne en réalité extrêmement bien, tant la tension est présente. 

Essaye encore

Vous l'aurez compris, I have no mouth and I must scream est avant tout un formidable univers. Très mature, et remplit de symbolisme, il parvient à prendre le joueur au tripes et à l'emmener dans la spirale de folie d'AM. L'empathie avec les différents personnages est très forte et l'on partage leur malaise, en appréhendant ce qui va suivre. Car il est possible de perdre de nombreuses fois à ce petit jeu des horreurs. Tout ne semble être qu'un éternellement recommence, sans échappatoire aucune. Chaque avatar représente en quelque sorte une faiblesse, un défaut humain, et les situations rencontrées sont souvent dérangeantes. Le jeu aborde sans tabou des sujets tels que le viol, le remords, ou encore les expériences du docteur Mengele. Attention, on ne fait pas dans le pathos ou le sensationnel, mais dans une certaine vérité froide et cruelle. On a alors à coeur d'aider les avatar à faire amende honorable de ce qui les hante. L'ensemble est soutenu par de superbes graphismes cauchemardesques, une écriture ciselée et d'excellentes musiques.. 

AM exige un sacrifice

Venons en maintenant au seul défaut du jeu, qui est malheureusement de taille : La difficulté. Ce doit être AM en personne qui a conçu ce jeu, car il est quasiment impossible de finir I have no mouth and I must scream sans une solution détaillée. Ce ne sont pas les énigmes en elles mêmes qui gênent, bien qu'assez corsées, mais le fait de pouvoir se retrouver fréquemment bloqué. En effet, il arrive souvent que l'enchaînement des situations fasse qu'il n'est plus possible de continuer. Par exemple, si vous oubliez de cacher les yeux dans les dossiers lorsque Nimdok s'enfuit du camp d'extermination, et bien ils sont détruits. Sans yeux, vous ne pouvez pas réveiller le golem et finir le chapitre (non, avec le contexte, ça n'est pas moins bizarre). Assez embêtant, d'autant plus qu'absolument aucun feedback ne vient prévenir le joueur qu'il faut recommencer. Le seul moyen de finir le jeu est donc de sauvegarder très régulièrement et de carrément suivre une soluce pour certains passages. Même pour un jeu de 1995, c'est moyennement acceptable. Night dive studios aurait au moins pû corriger ça pour la réédition.
 

Rien que pour vos yeux

Addendum: Pour ceux qui ne suivent pas assez assidûment les aventures de Dora l'exploratrice, il faut savoir que la version française ne comprend pas le chapitre de Nimdok. Ce dernier faisant explicitement référence aux expériences nazies des camps d'extermination. On conseille donc de jouer en anglais pour profiter du jeu complet, et du doublage d'Harlan Ellison. Le niveau de langue est assez soutenu, mais toujours moins que du Shakespeare. Quelle que soit la langue, ça reste fortement déconseillé aux âmes sensibles.

Comme le fait remarquer un de nos lecteur, la VF est d'ailleurs atroce :

I have no mouth and I must scream s'impose comme une référence majeure du jeu à forte dimension narrative. Avec ses avatars aux personnalités très travaillées, et un univers des plus oppressant, ce jeu constitue une expérience unique et captivante. Ou comment un jeu de 1995 envoie au tapis quelques récentes productions "matures". La difficulté plus qu'injuste pourra cependant en rebuter certains.

Verdict : 9/10

 

 

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Commentaires

Portrait de mamoru-sama

J'me demande en réalité si j'devrais prendre le jeu ou le bouquin.

Portrait de mamoru-sama

Ouais j'ai pris le jeu finalement. Et je l'ai fini, en anglais.
La VF est atroce. Mais vraiment.

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