Je vais te faire plaisir Adrien, j'ai exactement aperçu les mêmes choses que toi, et je dirais même mieux, je suis heureux de lire une critique digne d'une critique cinématographique. Il faudrait développer ce type d'exercice, c'est une bonne manière de revenir à l'esprit critique pour ne pas devenir un tube digestif. GTA V m'a beaucoup amusé, au début, mais les ficelles sont tellement énormes que nous comprenons rapidement que GTA V n'est rien d'autre qu'un produit de marketing. Je suis toujours profondément agacé par les pseudo-critiques de jeu produites par les concepteurs eux-mêmes : trop souvent dans les médias on invite les concepteurs pour émettre des critiques sur leurs métiers comme si l'on pouvait parler d'un jeu vidéo comme d'une oeuvre cinématographique : il est impossible de faire un jeu vidéo immersif à petit budget sauf à revenir trente ans en arrière (il y avait déjà des grosses équipes derrière, mais rien à voir avec les "superproductions" actuelles). Si l'on peut faire un très bon film avec une petite équipe, du talent, beaucoup d'imagination, il est impossible de faire un très bon rpg, mmorpg, etc. sans une grosse équipe et de multiples petites mains (parfois sous-traités en Chine par des employés payés une misère). Beaucoup de jeux ont été créés par des passionnés mais ces jeux sont morts très rapidement ou ont très rapidement dérivé vers un produit commercial. Parfois, ces ouvrages fabriqués par des passionnés ont fait émerger de véritables œuvres d'art - on citera le vieux Rhizome enterré pour des raisons financières, mais nous pourrions parler aussi de Dofus, etc. Bref... on se rend compte que chaque jeu semble suivre le même processus : au départ, une équipe d'artistes et d'informaticiens - souvent jeunes - à qui on laisse une grande liberté de création pour sortir un beau produit, ensuite les spécialistes du marketing analysent ce qui a fonctionné, ensuite les dirigeants (souvent des financiers) via le marketing imposent la stratégie à suivre. Parfois l'existence communiquée d'une "jeune équipe passionnée" est aussi un leurre stratégique pour attirer les aficionados du jeu video.

Pour GTA, nous avons eu ce processus mais avec une forte volonté de trouver une voie commerciale "facile" quasiment dès le départ. Il est vrai que les dialogues peuvent paraître "délirants" et quelque peu "décalés". Dans une scène, le plus dingue d'entre eux alors qu'il a attaché un homme sous les quais demande à un homme bâilloné : "Tu ne trouves pas que c'est une belle allégorie de l'Amérique ?" Nous pourrions être impressionnés par la profondeur du personnage si en réalité les américains n'étaient pas les spécialistes de la "fausse subversivité". Tous les dialogues sont formatés : aux USA il existe des écoles de dialoguiste, aussi ce qui pourrait paraître pour un travail de recherche sur le langage "populaire" américain est en réalité un formatage de série américaine. Hollywood, les télévisions américaines utilisent des milliers de dialoguistes professionnels. Dans les universités américaines, on apprend à écrire ces dialogues, c'est aussi comme ça que l'on transforme un langage populaire parfois subversif - comme le langage "rap" - en produit commercial (produit formaté en musique, série, films, littérature, jeux video, etc.). GTA V est tout sauf subversif, il est un pur produit de la manufacture du consentement. Que dit GTA ? Que tout le monde veut une belle voiture, une belle femme et une belle maison. GTA V ne diffuse rien d'autre que cette idéologie. Un peu de drogue, de sexe, et de rock'n roll pour donner une impression d'être un peu polisson, et voilà le tour de passe passe facile. D'autre part, l'environnement de GTA ne fait que reproduire le monde : rien dans le graphisme ne permet de parler de "création", ni surréaliste, ni réaliste, ni futuriste, rien, juste un peu psychédélique mais ça ne fera rire que quelques ados et encore... même pas sûre. GTA fait juste briller les voitures. Cette fausse subsersivité est plus l'éloge du capitalisme que sa critique. Dans GTA IV, on ressentait un petit malaise "le capitalisme, c'est pas facile", mais en même temps, les concepteurs de GTA agissent comme lorsque les gros labels ont voulu détourner le message politique du rap. Les vrais rebelles ne sont pas dans GTA.

Les vrais rebelles refuseraient la violence du capitalisme et ils le combattraient : aucun personnage ne va jusqu'à combattre ce système, bien au contraire, avec cynisme, ils se mettent au service du FBI, voire de la CIA et s'enrichissent. Et là nous sommes bien dans le formatage quasi-hollywoodien de la série. Il y aurait allégorie s'il y avait symbolisme. Il n'y a aucune symbolique, tout juste le cynisme de la maison de production qui transparaît trop bien à travers la médiocrité d'une narration formatée comme une mauvais série américaine qui peinerait à être originale. Bref, un succès au dépend d'autres jeux à mon avis beaucoup plus créatifs, riches, et intelligents que GTA.