Si l'on voulait faire de cette semaine une spéciale "Duos de génie", on aurait beaucoup de mal à ne pas parler de Doug Macrae et Kevin Curran, fondateurs de General Computer Corporation et héros d'une success story comme on ne pouvait en écrire que dans l'Amérique des années 80. Ces deux diplômés du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology, un centre de recherches et de formation spécialisé dans le high tech) et passionnés de jeux vidéo vont, avec un peu d'imagination et beaucoup de travail, devenir des acteurs majeurs du média vidéoludique pendant près de 15 ans. Cet article est là pour vous rappeler que quel que soit votre talent, une bonne dose de chance est parfois l'élément indispensable à votre réussite.
Super Missile Attack, le super mod
Comme tous les étudiants dans les années 80, Doug et Kevin sont des férus d'arcade. Début 1981, on compte parmi les incontournables Missile Command, jeu développé en 1980 par Atari et qui consiste à protéger un avion des batteries anti-aériennes grâce à des missiles. Original mais répétitif, ce jeu comme la plupart à l'époque n'a pas de fin, et se contente d'augmenter la vitesse et la difficulté jusqu'à ce que le joueur échoue. De leur côté, les deux ingénieurs en herbe fourmillent d'idées et de concepts, mais malheureusement n'ont pas l'infrastructure ni les moyens de coder un jeu puis d'investir dans les bornes pour le mettre sur le marché.
La lassitude se faisant sentir autour de ce hit et sa suite n'étant pas au programme, les deux jeunes hommes ont alors une idée simple mais ambitieuse : s'ils ne peuvent pas produire leurs bornes, pourquoi ne pas utiliser celles qui existent déjà? Pendant l'été, ils mettent leur idée à execution : ils ouvrent une borne de Missile Command, décortiquent le programme et en font une suite améliorée, Super Missile Attack. Plus coloré, plus varié et plus fluide, le jeu fonctionne grâce au simple branchement d'une carte à puce au système, sans aucune modification de la structure d'origine.
Les premiers retours sont si concluants que très vite Doug et Kevin ont les moyens de fonder General Computer Corporation, et de promouvoir leur mod via une large campagne de publicité. Pour seulement 300 dollars (un nouveau jeu d'arcade est souvent vendu plusieurs milliers de dollars), le premier add-on de l'histoire est une occasion inespérée pour tous les concessionnaires de salles de jeu de relancer l'intérêt du hit à moindre frais. Et pour ses inventeurs, c'est bien sûr un investissement très lucratif... Jusqu'à ce que leur succès les rattrape.
Atari, Midway, et la bataille pour Pac-Man
Encouragés par l'immense engouement pour leur mod, les fondateurs de General Computer ont l'intention de récidiver avec une autre star de leur génération : Pac-Man. La rétro ingénierie (le fait de décortiquer un programme, pour comprendre quelle partie du code correspond à quel aspect du jeu) prend beaucoup de temps, car le soft est sensiblement plus complexe, mais bientôt les deux hommes arrivent à leurs fins, et se préparent à lancer en grande pompe leur nouveau mod : Crazy Otto.
Malheureusement pour eux, c'est le moment que choisit Atari pour attaquer le duo en justice pour viol de copyright, une notion encore mal définie dans le jeu vidéo à l'époque. Tellement mal définie que le procès tournera au camouflet pour le géant Américain, à qui l'on expliquera qu'ajouter un module à un programme existant sans l'altérer, ce n'est par définition pas du vol. Sans recours possible et passablement échaudé, Atari propose alors un contrat aux deux ingénieurs, leur imposant en échange d'une importante somme d'agrent de ne plus rien modder sans leur accord express.
Si les deux parties arrivent à s'entendre, les fondateurs de General Computer ont tout de même du mal à se faire à l'idée d'abandonner les mois de travail que représentent Crazy Otto. Ils décident alors de tenter leur chance directement auprès de Midway, qui distribue Pac-Man pour Namco aux Etats-Unis. A leur grande surprise, l'éditeur les accueille à bras ouverts, étant à ce moment à court d'idées et de moyens pour proposer une suite crédible à leur jeu. Il fut décidé que Crazy Otto dépareillait trop de la licence d'origine, et qu'au vu du succès de la boule jaune après des femmes il serait beaucoup plus sensé d'en faire une version girly. Pac-Woman commencera sa production fin 1981, pour sortir en Janvier de l'année suivante sous le nom de Miss Pac-Man.
Baby Pac-Man et la deuxième victoire de General Computer
Alors que le fruit de leur collaboration devient un des jeux les plus populaires de tous les temps, Midway se sent pousser des ailes au vu de l'engouement général. Si les femmes aiment tant Miss Pac-Man, pourquoi ne pas lui prêter une romance avec Pac-Man, et même leur donner un fils? Dans le dos de Namco, la maison-mère, et de General Computer, Midway se fend donc d'une série de suites arcade (Baby Pac-Man, Junior Pac-Man et consorts), d'une série animée et de nombreux produits dérivés.
Floués, Doug et Kevin se lancent alors dans leur deuxième bataille judiciaire, mais cette fois du côté des plaignants. Et encore une fois ils gagnent : exploiter le travail des ingénieurs sur Miss Pac-Man puis le distribuer à son propre compte est bel et bien illégal. Les deux hommes touchent donc de Midway des royalties sur toutes les suites et produits dérivés, ce qui représente une somme considérable.
Fortunés mais limités par leur entreprise (qui n'a pas les épaules pour concurrencer les géants de l'époque), ils créent en 90 jours Food Fight et le présentent à Atari, avec qui ils sont toujours sous contrat. L'Américain de son côté est assez surpris de voir General Computer revenir vers lui, tant il lui semblait évident que leur "contrat" était uniquement destiné à les empêcher de modder leurs jeux, mais pas spécialement à les faire travailler ensemble. Cependant Food Fight est bon, et il a été développé en un temps record, ainsi Atari se met à reconsidérer la possibilité de donner aux ingénieurs la place qu'ils méritent dans l'entreprise. Ce sera le début d'une deuxième vie pour deux amis.
Le retour chez Atari, et la fin de la clandestinité
De retour chez Atari, les deux prodiges de General Computer vont cette fois se voir proposer des missions à la hauteur de leurs compétences. Il assureront d'abord l'intégralité des derniers portages arcade sur la 2600, montrant très vite leur supériorité aux "techniciens maison" (qui avaient fait du premier portage de Pac-Man un désastre dont on se souvient encore). Mais très vite l'Atari 5200 Super System arrive sur le marché (fin 1982) et les diplômés du M.I.T. deviennent programmeurs en chef. Ils seront responsables de pas moins de la moitié des jeux sortis sur cette console, abandonnée en 1984 (en partie à cause de sa manette d'une fiabilité désastreuse, selon certains la 5200 est d'ailleurs la console qui a précipité Atari vers sa chute).
Persuadé de pouvoir compter sur ses deux visionnaires, Raymond Kassar, PDG de l'entreprise, leur confie le développement et la conception de sa nouvelle console, l'Atari 7800 ProSystem. Si le destin de la machine (dont le lancement a échoué à cause de la revente d'Atari à Jack Tramiel, père du Commodore) sera cruel et son échec incontestable, elle n'en reste pas moins une des meilleures machines jamais produites par Atari. Tout était là : la rétro-compatibilité, le pad moderne (en réponse au succès de la NES), le système 8-bits et les licences historiques de la marque. C'est donc encore une fois floués et amers que les deux inventeurs de l'add-on quitteront Atari pour changer définitivement d'orientation.
Le passage à l'indépendance
Conscients qu'ils ne seront jamais aussi bien servis que par eux-mêmes, les deux ingénieurs se détachent lentement du jeu vidéo, pour mettre leur talent au profit d'autres secteurs en vogue. On peut citer parmis leurs grandes réussites l'HyperDrive, premier disque dur dédié au Macintosh et tournant sept fois plus vite que le support officiel.
Après avoir enchaîné les succès en surclassant les produits dérivés d'Apple, Doug et Kevin seront rattrapés par le talent de Steve Jobs et ses équipes et choisiront alors de se tourner vers les imprimantes. Participant à la démocratisation des systèmes lasers, ils vivent encore aujourd'hui de leur travail dans ce domaine, loin des spots et des scandales, loin des effets de mode et du fashion.
Et c'est ça qui marque avant tout dans le parcours incroyable de ces deux diplômés du M.I.T. : ils sauront, après avoir mis deux géants à terre à coups de procès, sentir quand le vent tourne afin de changer d'activité et de se renouveler sans cesse. Preuve que leur créativité n'a pas de limite, ils auront dans leur carrière toujours mis les voiles avant que leur navire ne sombre, sans jamais dépendre de personne. Reste que l'héritage des deux hommes est aujourd'hui du domaine public : l'add-on et le mod sont deux constantes du jeu vidéo, beaucoup mieux gérées à présent par les grandes compagnies du secteur. Moyen idéal de rentabiliser une licence vieillissante à moindre coût, inciter les fans à produire du contenu est un recours usé par chacune d'entre elles. N'oublions pas que des succès comme Counter Strike, Killing Floor ou Portal n'étaient à la base que de simples mods!
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Auteur : Adrien Martel
Rédacteur en ChefAncien correspondant de presse, passionné de musique et de nouvelles technologies, partage son temps libre entre les voyages, le Standalone Post et la Wii U
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