Accuser Internet de tous les maux sur deux articles c'est à peu près aussi original que d'écrire un dossier sur les francs-maçons, sauf qu'en plus ça aurait tendance à vous déculpabiliser. Pour ceux qui l'auraient oublié, Internet c'est avant tout vous et moi, et vous et moi sommes les premiers à saborder la merveilleuse expérience que devrait être le « vivre ensemble ». Afin de terminer cette anthologie des parasites du gaming moderne, cet article est là pour vous rappeler que dans ce domaine, personne n'est innocent.
Les guides complets, ou l'apologie de la fainéantise
Ce que ça aurait pu apporter
Tous les lecteurs de ma génération ont forcément quelque part le souvenir d'être allés chez un marchand de journaux sans un sou en poche, d'emprunter un magazine de trucs et astuces puis de noter discrètement un password sur le dos de leur main. Car c'est bien ce que l'on faisait, à une époque où le seul moyen de sortir d'une impasse dans des jeux aussi difficiles que Tortues Ninja ou BattleToads était d'acheter un magazine hors de prix ou d'appeler la hotline surtaxée de Nintendo (et de se faire sabrer par ses parents).
Cependant cela posait bien sûr un problème éthique, du fait qu'une poignée d'éditeurs (comme Nintendo, qui en tirait une marge considérable) et quelques maisons d'édition avaient le monopole sur le monde de la soluce. Et que quelque part, il était assez injuste de créer ou de promouvoir des jeux à la difficulté insensée, puis de nous faire payer pour révéler un moyen caché d'en voir le bout. Dès les débuts d'Internet, juste après les sites pornographiques et celui de la Maison Blanche (dans cet ordre) apparaîtront les premiers sites de trucs et astuces complètement gratuits, la base de données la plus connue en France étant alors l' ETAJV (Encyclopédie des Trucs et Astuces du Jeu Vidéo). Très rapidement, et bien avant l'arrivée du speed gaming, le monde de l'astuce et du cheat code devenait communautaire et participatif, les sites et forums se multipliant. Le début de la fin?
Mais en réalité...
Où en sommes-nous aujourd'hui? La courbe s'est complètement inversée. D'abord les jeux sont devenus faciles, tellement faciles que les softs proposant un minimum de challenge "à l'ancienne" (comme Super Meat Boy, pour ne citer que lui) rencontrent souvent un succès immédiat. Et ce qui est amusant, c'est que malgré l'infinie simplicité des défis qu'on nous propose en général, le joueur fainéant que nous sommes est néanmoins devenu un énorme consommateur d'astuces (il n'y a qu'à voir le nombre de sites dédiés au sujet).
Les forums des sites mainstream sont aujourd'hui envahis d'adolescents habitués au prémâché, lassés d'avoir à chercher plus de dix minutes comment activer un interrupteur ou battre un boss. Mais loin de moi l'idée de m'en prendre à la seule jeunesse, comme si nous anciens n'avions pas ouvert la voie à ces travers. Le constat au final étant qu'à l'exception de ces jeux très exigeants que sont les nouveaux platformers hardcore, il est devenu aujourd'hui inconcevable de rester bloqué sur un jeu. Et c'est dramatique, parce que cela entraîne des modifications irréversibles dans le monde du jeu tel que nous le connaissons.
Les éditeurs, las de simplifier leurs softs à outrance, bâclent aujourd'hui de plus en plus leur contenu solo (trop facilement spoilable et donc vite oublié) au profit d'un multijoueur de masse moins coûteux, mais aussi moins riche. Des chefs d'œuvre comme In Memoriam, sorti en 2006 chez Lexis et proposant une expérience absolument unique, sont désormais condamnés à tomber dans l'oubli, parce que jouer aujourd'hui ça doit impérativement vouloir dire gagner rapidement et sans efforts.
Les DLC, ou le recyclage version tuning
Ce que ça aurait pu apporter
Sortir un jeu c'est bien, mais c'est cher. Le joueur se lassant vite (surtout à l'aube du jeu vidéo moderne, quand les softs étaient effroyablement répétitifs), l'éditeur a toujours cherché un moyen de prolonger plus ou moins artificiellement la durée de vie de ses produits. Très tôt il y a eu les mods, ou "comment faire du neuf avec du vieux en changeant quelques textures", mais de nos jours les joueurs ont généralement accès aux outils et aux connaissances nécessaires à ce genre d'exercice. Et puis soyons réaliste, un mod n'a jamais été vecteur de rejouabilité, et personne ne payerait aujourd'hui pour jouer à Batman en changeant juste la couleur de son slip.
Mais en réalité...
Sauf que... en fait si. Et c'est bien là l'ironie de la chose : une fois encore en partant d'une excellente idée (qui était d'apporter un vrai contenu supplémentaire à un soft populaire), on se retrouve à vous faire payer 5 euros un nouveau personnage d'Injustice sur l'e-shop, personnage qui n'est pas déblocable autrement. On peut difficilement dater le premier DLC, mais le terme commence à devenir redondant en 1997 quand Cavedog propose aux joueurs de Total Annihilation une nouvelle unité téléchargeable chaque mois, et ce gratuitement.
Les jeux de stratégie (ainsi que les RPG) seront d'ailleurs à l'avant-garde de la mouvance, des licences comme Dawn of War ou Company of Heroes proposant régulièrement pour quelques dizaines d'euros un solide contenu additionnel. Malheureusement, comme tout ce qui est lucratif, le concept est vite devenu déclinable à l'infini. Proposer une extension qui se termine en une paire d'heures, faire payer pour des costumes (encore plus dans des jeux solos), voilà le genre de pratiques qui fait que ce qui aurait dû être le renouveau du gaming se transforme en source de méfiance. Car du Downloadable Content, nous sommes parfois plus proches du Downloadable Contempt...
Les sites de jeu vidéo, ou la guerre de clochers
Ce que ça aurait pu apporter
A l'époque lointaine dont je vous parle depuis maintenant trois jours, les magazines étaient, vous l'aurez compris, le seul moyen (avec le bouche-à-oreille) de se faire un avis sur un jeu, une console ou un accessoire. Les plus jeunes d'entre nous n'ont pas vraiment conscience à quel point cela pouvait rendre nos choix hasardeux, et je suis toujours effaré du peu de renseignements que je prenais sur mes jeux avant de les acheter. Pour faire simple, chez beaucoup de joueurs dans les années 80, on se fiait plus ou moins à ce qui était écrit derrière la boîte. Et pour ce qui est des consoles eh bien... c'est le vendeur de chez Joué Club qui disait à mon père quoi acheter.
Alors évidemment la concurrence et le rythme des sorties était tout de même beaucoup moins rude qu'aujourd'hui, et on pourrait penser que la qualité globale des produits était supérieure. En effet, que vous ayez à l'époque acheté une MegaDrive ou une Super Nintendo, personne ne pourra jamais dire que vous vous êtes fait arnaquer. Ceci étant, très vite la démocratisation de nouveaux moyens de communication permet à de nombreux sites et forums de voir le jour, permettant à chacun de se faire un avis tranché et juste sur les produits...
Mais en réalité...
Enfin en tout cas ça se serait passé comme ça dans un conte de fées. En réalité, toute cette belle liberté a encore une fois vu naître en son sein une immonde progéniture : la guerre des consoles. Pour ceux qui vivent dans un arbre, la guerre des consoles c'est cette vaste blague qui consiste à dire qu'aujourd'hui, comme beaucoup vont choisir de supporter le football-club d'une ville dans laquelle ils n'ont jamais mis les pieds, la majorité des morveux de la planète ont décidé qu'ils voueraient un culte à un fabricant. Et qu’ils prendraient les armes pour lui parce que... j'imagine qu'ils pensent aller au paradis des gamers après la bataille.
Ce concept de guerre de clochers, comme tout ce dont j'ai parlé dans ce dossier, s'est bien sûr très vite révélé monétisable, et aujourd'hui les principaux sites de jeu vidéo (quasiment tous affiliés à des groupes de presse ou des développeurs) ainsi que les éditeurs eux-mêmes encouragent cette bataille féroce. Aller dans le sens de tel ou tel groupe de fan boys, supporter tel ou tel modèle économique, voilà des actes qui s'assimilent plus à des choix mercantiles qu'à un sacerdoce pour l'information...
Le coop, ou la meute de loups
Ce que ça aurait pu apporter
Qu'on ait 18 ou 40 ans, on a tous un jour joué à plusieurs dans son salon. Que ce soit à Mario Party ou Street Fighter, ça n'a aucune espèce d'importance : l'expérience est souvent assez similaire. Chambrer le débutant, filer un coup de latte discret à un adversaire un peu trop coriace, hurler à la chance ou au glitch à chaque défaite… voilà le genre de choses qui fait le sel du multijoueur local, comme certains éditeurs l'ont compris depuis longtemps. Et c'est ça qui est merveilleux avec Internet : tous les joueurs du monde entier, avides de partage et de bons moments, peuvent aujourd'hui briser les frontières et partager leur passion, par-delà les langues et les religions!
Mais en réalité...
En fait pas du tout. Je pense même qu'à un moment donné, un type a levé la main durant une réunion chez Blizzard pour dire : "faudrait aussi trouver un moyen de faire jouer les dégénérés !" Parce que la grande illusion du multijoueur online, c'est qu'il n'a dans sa globalité absolument rien de commun avec son ancêtre de salon. Le multijoueur online, c'est le plus souvent jouer à un jeu solo et montrer au reste du monde qui a la plus grosse. En tout cas c'est avant tout jouer en solo.
D'ailleurs il ne me faudra pas plus de deux lignes pour vous démontrer que l'immense majorité des gens ne joue en multi que pour écraser les autres : regardez comme il est difficile de faire coopérer des joueurs! Prenez n'importe quel jeu multi impliquant un esprit d'équipe, et observez les mécanismes à l'œuvre : punitions sévères à ceux qui tireraient dans leur camp, avalanche de bonus pour des actions aussi basiques que d'accomplir la mission qui vous a été assignée... Et malgré cela, de nombreux joueurs de Battlefield vont préférer booster leur XP quitte à faire perdre toute leur équipe, et votre coéquipier à Payday ne risquera jamais une égratignure pour venir vous ranimer (sachant que ça ne rapporte rien). Enfin que dire d'un jeu comme League of Legends, dans lequel vous passerez la plupart du temps à vous faire insulter ou à insulter les autres (si vous êtes vraiment balèze)?
Les jeux online sont aujourd'hui calibrés de façon à encourager l'égoïsme (Call of Duty et son culte de l'exploit), ou absolument verrouillés et surveillés pour éviter que les joueurs censés coopérer dans un but noble ne finissent par se trucider (dans la plupart des MMO, entre autres). Et évidemment, cela s'accompagne du dédain et de la méchanceté gratuite dont la petite fenêtre de chat ne sera jamais avare.
Le téléchargement de sauvegardes, ou la foire aux trojans
Ce que ça aurait pu apporter
Je ne vais pas vous apprendre ce que vous savez déjà, la sauvegarde dans le gaming a connu de nombreuses évolutions. Se logeant d'abord dans la cartouche, puis dans des périphériques spécifiques (les cartes mémoire), elle a trouvé refuge sur le disque dur de nos consoles depuis déjà plusieurs années (de manière définitive). Si aujourd'hui manipuler ou échanger des sauvegardes consoles est compliqué et potentiellement risqué, sur ordinateur c'est une autre paire de manches, puisque depuis l'apparition des premières disquettes on se refourgue à peu près tout ce qu'on veut, ou du moins tout ce qui tient sur le support. Alors forcément, depuis Internet, cette politique de libre-échange entre voisins est devenue une espèce d'orgie planétaire...
Mais en réalité...
Longtemps le domaine de hackers à la petite semaine et encore hors de portée des plus néophytes, les sauvegardes éditées (voir même les game hacks, petits logiciels se comportant comme les Game Genie de l'époque) étaient et sont encore disponibles sur des sites dédiés, souvent hébergés en Russie.
Mais aujourd'hui ce système est devenu plus un problème qu'une solution, d'abord parce que la multitude de versions et de mises à jour d'un même jeu rendent les compatibilités aléatoires. Mais qu'en plus, télécharger et utiliser sur un ordinateur un bout de programme pirate Moldave, c'est un peu comme passer sa langue sur une barre de métro parisien : même si ça devait avoir un effet positif à un moment, vous choperiez un virus avant de pouvoir en profiter. Le téléchargement de sauvegardes éditées est maintenant un phénomène marginal, mais malheureusement fréquent chez les jeunes joueurs et les néophytes, ce qui en fait un excellent moyen pour les pirates de propager tout un tas de programmes nocifs sur un grand nombre d'ordinateurs peu ou mal protégés.
Alors que dire? Qu'Internet c'est chacun d'entre nous, et que l'Homme est un loup pour l'Homme? Si je devais en arriver là j'aurais atteint mon taux de phrases clichés pour le mois à venir, et je compte bien garder un peu de réserve pour les beaux jours. Mon propos, vous l'aurez compris, est simplement d'apporter un peu de recul et d'objectivité à la complaisance ambiante, d’essayer avec cynisme et un soupcon de mauvaise foi de rétablir un certain équilibre dans ce que l'on entend dans les médias mainstream. Non, tout n'a pas toujours été payant, non, Microsoft ou Sony ne vous aiment pas pour ce que vous êtes et non, Internet n'est pas un village planétaire. Comme tout ce qui libère, Internet est aussi vecteur de déviances, et il faut tout simplement apprendre à consommer et jouer responsablement. Car ce sont nos comportements qui forgent ceux des éditeurs, et il suffit parfois de changer de perspective pour changer les choses. C'est ça, ou vous rouler dans votre sofa en position fœtale et vous répéter que c'était quand même mieux avant.
Votre Top5 est maintenant bi hebdomadaire, rendez vous mardi pour de nouvelles aventures!
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