Quand Nintendo nous parle de sexe(s)

Moment historique dans nos contrées : Nintendo s'est publiquement excusé la semaine dernière d'avoir "omis" d'intégrer les romances homosexuelles dans son simulateur de vie à succès, Tomodachi Life. Et si vous pensez que ce n'est qu'un buzz de plus, je vais vous démontrer que c'est peut-être le début d'une révolution.


Comme il a plus ou moins ré-établi les bases du jeu vidéo de salon au milieu des années 80, Nintendo en a tout simplement profité pour imposer ses règles. Dès le lancement de la NES, avec le Nintendo Seal of Quality, le japonais affirme une position diamétralement opposée à celle de son prédécesseur Atari, dont le manque de lucidité sur la qualité de ses jeux avait littéralement ruiné l'empire. Cette volonté de contrôle du contenu, qui perdurera bien après l'abandon du fameux sceau, sera renforcée par plusieurs facteurs : son quasi monopole sur le marché d'abord, son orientation "famille" dès le milieu des années 90 (par opposition à ses concurrents "violents"), mais aussi et surtout le fait que Nintendo soit le plus gros créateur et vendeur de jeux Nintendo, et qu'aucun autre éditeur ne prospère aussi bien en autarcie que le nippon.

Alors du coup, cliché Japonais, big N va rester conservateur et protectionniste par tradition, faisant peu évoluer sa ligne éditoriale au fil des années. De nombreuses voix s'élèvent aujourd'hui pour montrer à quel point ce passéisme est devenu ridicule, mais on peut estimer que sur des sujets essentiels comme l'intégration des réseaux sociaux ou le multijoueur, Nintendo est sorti de sa grotte et va agir dans le bon sens.

Reste un sujet qui n'a pas bougé, la censure des jeux. Quitte a devenir "un éditeur pour enfants" (image qui a tendance à s'estomper mais qui a hanté le japonais, surtout dans les années 2000), autant l'assumer à fond, et Nintendo a fait de la ludothèque familiale un angle aigü de sa communication. Pourquoi? Peut-être parce que, dépassée techniquement pendant presque une décennie, l'entreprise n'avait plus beaucoup d'autres angles à exploiter. Peut-être que rassurer la ménagère effrayée par les tueries d'enfants aux Etats Unis (causées rappelons-le par les jeux vidéo et le rock'n roll) était à la fin des années 90 le seul moyen de continuer à vendre des systèmes face aux assauts répétés de Sony. Peu importe. 

Futur tueur en série

Toujours est-il que Manhunt 2 par exemple sera rejeté par Nintendo bien en amont de sa sortie, à cause du "bad buzz" provoqué par les scènes de décapitation du trailer. Une censure de principe peu surprenante, même si l'avenir donnera raison à Nintendo au vu de la nullité absolue de ce jeu (qui se vendra très mal sur le reste des systèmes). Mais on peut parler de cas plus polémiques, plus révélateurs du refus absolu du nippon à devenir un personnage public. Annuler un portage de Binding of Isaac (qui se prêtait pourtant tellement bien à la Wii U...) de peur de froisser la communauté catholique et les parents en général, voilà qui dit bien des choses sur une compagnie qui, de part sa taille et sa notoriété, se devrait d'avoir de l'audace et des convictions.

Car voilà ce que Nintendo est en train d'apprendre à ses dépens ces jours-ci : on ne peut pas vendre des millions de jeux dans le monde, être une icône générationnelle, et n'avoir aucun parti pris sur la société, aucune politique autre que "essayons de ne froisser personne". Ce n'est plus ainsi que le monde fonctionne, le monde d'ailleurs est devenu si complexe qu'en ne voulant froisser personne on finit toujours par se mettre une communauté à dos. Surtout quand on a un double discours depuis plusieurs années.

Manhunt 2

Car depuis la sortie de la Wii, si Nintendo continue d'appliquer son principe de stérilisation aux jeux produits en interne, elle sait aussi fermer les yeux quand il y a de l'argent à se faire. D'accord, Mario est hétéro, Peach est une icône aryenne, mais quand un éditeur se propose de faire buzzer la Wii avec un jeu graphique et sanglant (MadWorld en 2009), quand un portage de Mass Effect (jeu permettant au héros d'avoir des rapports homosexuels) se propose de grossir les ventes timides de la Wii U, l'éditeur sait adapter ses principes aux exigences financières de ses actionnaires.

C'est sûrement ce qui blessera de plus la communauté des joueurs : depuis quelque temps Nintendo avait semblé faire montre d'une certaine ouverture d'esprit, et d'une évolution de sa mentalité, incluant des jeux plus mainstream et paradoxalement plus engagés à son catalogue. Mais à la première occasion, au premier soft maison offrant une certaine liberté d'action, le soufflet retombe : le japonais est toujours bloqué dans les années 80.

MadWorld sur Wii

Sa première réaction n'a d'ailleurs fait qu'aggraver les choses. Après avoir corrigé un bug permettant aux individus de même sexe de s'aimer malgré tout, un porte parole de la firme a déclaré que "Tomodachi Life n'avait pas vocation à être une critique de la société", et que permettre aux avatars de même sexe de se marier aurait été prendre part à un débat sociétal. On peut penser que le géant n'imaginait surtout pas des ventes aussi importantes en dehors de son archipel, et qu'il n'avait donc pas vraiment prévu une telle réaction occidentale. Qu'importe. Quand vous êtes une icône, vous vous devez de représenter des valeurs, d'incarner une vision. Et ne rien représenter, c'est par défaut incarner l'intégrisme conservateur à l'américaine, ce qui à mon avis n'est même pas la véritable intention de Nintendo.

Voilà pourquoi, pris cette année la main dans le sac (et l'autre dans le tiroir caisse des grosses licences comme Batman ou Mass Effect), Nintendo va résolument devoir adapter sa politique au monde actuel. Si ce n'est par conviction, au moins par nécessité mercantile. Sa promesse d' "intégrer plus de possibilités à une éventuelle suite de Tomodachi Life" ressemble à un voeu pieu, mais big N sait maintenant que le monde moderne a les yeux braqués sur lui. Et que sa petite révolution entamée l'année dernière ne saurait être une réussite s'il continue à avoir la ligne éditoriale de Gulli en voulant vendre des consoles à de jeunes adultes.

Commentaires

Portrait de yannosh

"Peach est une icône aryenne" c'est une boutade hein ?

Portrait de Adrien Martel

Je serais surpris que ta question soit sérieuse... Si c'est le cas sache que je n'envisage pas du tout la possibilité que Nintendo ait des affiliations nazies. ;-)

Portrait de Gilles

Me semble que l'excellentissime MadWorld s'est mal vendu, notamment parce que sorti sur une console dont la grande majorité des clients n'en était pas le cœur de cible.
Et il est resté une exception dans le genre, comme le sanglant No More Heroes par exemple.
Soyons clairs : les gens qui veulent de l'homosexualité dans les jeux, ils sont minoritaires donc n'impactent pas les ventes de Big N donc bon...
Après, quand c'est un portage/multiplateforme comme Mass Effect 3, Big N va pas se priver de ventes potentielles en interdisant un jeu.
Par contre, essaye de vendre un jeu promouvant l'homosexualité de façon plus parlante que ces titres et tu verras la réaction.
Au passage, malheureusement, le Monde Entier est "conservateur", pas que le Japon même si ce pays aligne les clichés, il est en revanche plus ouvert sur d'autres sujets moins polémiques...

Portrait de Adrien Martel

No More Heroes n'est pas à proprement parler un exemple sanglant, il a quand même été très largement censuré par rapport au projet original (qui pour le coup pissait le sang).

Ensuite j'ai quelques problèmes de sémantique avec tes propos. "Les gens qui veulent de l'homosexualité"... Qui sont ils? Que veulent-ils? Les gens veulent pouvoir avoir des rapports homo dans un simulateur de vie comme les personnes de couleur veulent pouvoir incarner un avatar de couleur dans ce même simulateur, cela me paraît assez limpide.

"Promouvoir l'homosexualité" ce sont des termes qu'on entend en Russie ou en Ouganda, et c'est pour cela que ta réflexion me pose problème. Quand tu crées un simulateur de vie, comme les Sims par exemple, tu décide d'office où seront les barrières à la liberté du joueur. Electronic Arts, par exemple, décide que la zoophilie est une pratique choquante qui ne pourra pas être montrée dans son soft.

Nintendo pour sa part a décidé que comme l'inceste, l'homosexualité était une pratique choquante qui n'avait pas sa place dans un simulateur de vie. Et à moi comme aux nombreuses personnes qui ont lancé la pétition (plus nombreuses que tu sembles le penser) ça pose un problème.

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