Bien avant internet, la recherche de l’interactivité entre le téléspectateur et la télévision a abouti en France a de nombreuses expériences toutes plus originales les unes que les autres. Il y a eu de bonnes idées et quelques dérives. Retour nostalgique sur quelques-unes d’entre elles.
Au début des années 1980, les programmes jeunesse à la télévision commencèrent à voir l’arrivée des premières consoles de jeu vidéo comme une sérieuse concurrence. Il est en effet difficile de capter l’attention d’un enfant suffisamment longtemps sur une activité totalement passive, tandis qu’il peut rester des heures entières manette en main. C’est donc tout naturellement pour maintenir ce public devant les programmes jeunesse (et les publicités !) que des trésors d’ingéniosité on vu le jour dans le PAF (le Paysage Audiovisuel Français, pas le chien), utilisant les technologies de l’époque, des idées venant d’autres pays ou simplement du système D.
Les accessoires
Télétactica, l’interactivité low-tech
La série d'animation française a été diffusée à partir du 11 septembre 1982 sur Antenne 2 dans l'émission "Récré A2" et est composée de 130 épisodes de 5 minutes. Ils étaient diffusés en format 15 minutes, chaque histoire comportant 3 épisodes. L’histoire est des plus classiques pour l’époque : à la recherche des mémoires volées qui contiennent le savoir, la Compagnie des Corsaires du Temps voyage dans le temps à bord de leur vaisseau spatial l'Orion. La véritable originalité résidait dans l’interactivité proposée aux jeunes téléspectateurs : promus télétacticiens ils devaient coller à certains moments de l'histoire des formes géométriques en plastique, appelées Télétacs, sur l'écran de télévision afin d'aider l'équipage de l'Orion en créant visuellement des ponts, des cachettes, des véhicules etc... Ces morceaux de plastique plats adhéraient à l'écran grâce à l'électricité statique.
Les Télétacs étaient vendus chez les marchands de journaux sous forme d'une pochette contenant des feuilles de vinyle de plusieurs couleurs et des gabarits de différentes tailles afin de découper les Télétacs dans le plastique. Il fallait adapter la taille des Télétacs en fonction de la taille de l'écran de télévision qu'on avait chez soi, de 31 à 61cm comme c'était expliqué au verso de la pochette. Elle s'ouvrait sur l'arrière et on pouvait ensuite la garder et s'en servir d'étui de rangement.
L'animateur de l'émission s'appelait l'aiguilleur du temps, il servait de guide aux télétacticiens en s'adressant directement à eux. Il se trouvait dans Le Centre, le quartier général de la Compagnie des Corsaires du Temps. L'équipage de l'Orion l'appelait à la rescousse pour se sortir de situations compliquées.
L'aiguilleur du temps indiquait aux enfants quelle forme de Télétact il fallait utiliser en le montrant à l'écran et mettait alors en marche son programmateur de transfert.
Sur cette vidéo de juin 1982, Dorothée explique tout en découvrant elle-même comment fonctionne le principe des Teletacs :
Les petites têtes blondes avaient une véritable impression d’interaction avec l’émission. Ils pouvaient voler au secours de l’équipage, ils avaient le POUVOIR ABSOLU ! Un système extrêmement low cost et low tech et pourtant particulièrement ludique. Le seul inconvénient finalement était que cela incitait les enfants à se positionner trop près du téléviseur.
Sab Riders et Captain Power, pew pew !
Comment faire encore plus fun? Simplement en tentant de résoudre l’équation suivante : jouet électronique + télévision = cool. Ce sera le défi relevé par les programmes Sab Riders et le très kitch Captain Power.
Un pistolet doté d’un capteur optique en forme de vaisseau spatial est vendu dans les magasins de jouets. Dans la série, certains éléments (par exemple le corps des méchants, certains véhicules, etc.) affichent un signal que le pistolet capte. But du jeu : pendant le dessin animé, vous visez l’écran et essayez de dégommer un maximum de cibles ; sur le pistolet, un compteur indique votre score. Encore plus fort, l’interaction se fait dans les deux sens et les méchants peuvent aussi vous tirer dessus ! Si vous vous faites toucher, le pilote de votre “vaisseau spatial” s’éjectera d’un bond, signifiant la fin de partie.
Finalement, le concept disparut aussi vite qu’il était arrivé. Peut-être était-il trop en avance sur son temps. A moins que la qualité du programme télévisé n’y soit pour quelque chose…
Quizako et multipoints, qui veut gagner des réductions?
En 1992 un petit boitier appelé QUIZAKO était mis en vente. Commercialisé par Majorette et ressemblant à une sorte de télécommande, il était composé de 4 touches, un carré bleu qui servait aussi à répondre "oui", un rond rouge qui servait aussi à répondre "non", un triangle blanc et une étoile jaune. Lors de certains programmes jeunesse tels que Giga ou Micro kids, une sonnerie annonçait qu'une question allait être posée. Les téléspectateurs équipés de leur boitier QUIZAKO devaient alors répondre à celle-ci. En cas de bonne réponse, la Marseillaise était jouée par le boitier ! L’appareil cumulait alors des points que l’on pouvait ensuite échanger contre des cadeaux. Et il fallait évidemment beaucoup de points pour au final ne remporter que des petits cadeaux (jeux de sociétés, réductions sur des jouets partenaires…). Le concept avait cependant l’avantage d’être une première mondiale, enfin d’après Antenne 2 à l’époque ! Ce fut aussi un des premiers cas d’obsolescence programmée officielle puisque le concept du QUIZAKO ne devait durer qu’une année.
Après l’opération de transformation du service télévisuel public en “France Télévision”, il fût décidé de relancer rapidement une autre interactivité avec la carte Multipoints vendue 199 francs. Le principe était sensiblement le même : un signal optique apparaissant en bas de l'écran lors de certains programmes par exemple lors du jeu “Que le meilleur gagne" animé par Nagui. Il fallait alors orienter la carte Multipoints vers l'écran du téléviseur et répondre à la question posée. Les points cumulés rapportaient cette fois-ci des réductions sur des produits vendus par les partenaires de l'opération. Il était facile de tricher en enregistrant le programme puis en ne répondant aux questions qu’une fois les réponses visionnées. Le succès ne sera pas au rendez-vous et la carte Multipoints quittera rapidement les écrans...
Les jeux par téléphone
Nous sommes désormais en 1992, et l’arrivée des consoles 16 bits fait littéralement un carnage dans les audiences des programmes jeunesse. Mais c’est aussi l’âge d’or des services audiotel. Qui parmi vous n’a jamais fait hurler ses parents en recevant la facture téléphonique relevant votre appel de 45 minutes au Père Noël au 36 65 65 65 à 3F65 la minute ? C’est alors qu’un concept diaboliquement rentable voit le jour : le jeu vidéo par téléphone !
Hugo Délire, le troll souvent copié jamais égalé
C’est Hugo Délire qui posera les bases de ce qui deviendra une véritable manne pour les sociétés de production pendant quelques années. Les téléphones à touches, utilisant des tonalités, ayant définitivement supplantés les vieux téléphones à cadrans, il était facile d’associer les contrôles d’un jeu vidéo avec les tonalités des touches du combiné. Les aventures d’Hugo, le troll sympathique au demeurant, étaient présentées par Karen Sheryl qui faisait jouer en direct un téléspectateur tiré au sort parmi plus de 20 000 appels quotidiens. Sachant que pour participer au tirage au sort il fallait réussir au préalable plusieurs épreuves en appelant le numéro surtaxé, il est facile d’imaginer la rentabilité du programme ! Et tant pis si la latence entre ce que voit le téléspectateur sur son téléviseur, le moment où il appuie sur la touche et celui où la commande est exécutée peut atteindre plusieurs secondes. Au contraire, les autres téléspectateurs se disent que le joueur sélectionné est bien mauvais et qu’ils feraient cent fois mieux. Aussi se ruent-ils sur leur téléphone !
Afin de simplifier au maximum les contrôles, le jeu se présentait sous la forme de ce qu’on appelle désormais un endless-runner game. C’est à dire que le personnage Hugo se déplace tout seul en ligne droite et le joueur se contente de lui faire éviter les obstacles qui se présentent à lui. Dans une mine d’or, un avion ou sur une voie ferrée, le principe était le même. L’impression de grande simplicité couplée à la grande difficulté de jouer en tenant compte de la latence ont largement contribué à son succès. Si vous êtes nostalgiques, des versions mobiles du jeu sont disponibles sur votre Store favori.
La boule de neige qui devient une avalanche
Hugo Délire fut donc un succès très rentable. C’est en toute logique que le milieu des années 1990 a connu de nombreux programmes similaires, tels que Pizza Rollo, sur Canal +, où il fallait guider le livreur de pizza à destination, ou bien encore Pikto sur Canal J, dans un style psychédélique. C’est dans l’émission Samedi’Mat présenté par Maureen Dor que le concept évolua pour faire jouer un grand nombre de téléspectateurs en simultané. Une sorte de MMO bien avant l’heure, quoi !
Il y a eu Mission Galixia qui proposait à 64 joueurs de piloter quatre vaisseaux spatiaux pour débarrasser l’espace de déchets divers. Le vaisseau partant dans la direction la plus sollicitée par les joueurs, cela ressemblait parfois à du grand n’importe quoi à l’écran. Le vaisseau ayant cumulé le plus de points voyait son équipage continuer l’aventure, réparti à nouveau dans quatre vaisseaux, et ainsi de suite jusqu’au vainqueur.
Par la suite ce fut carrément à une partie de Super Mario World que les tout jeunes présentateurs Charly et Lulu proposèrent de jouer en direct. Ici l’interactivité est réduite à son minimum : il s’agit de suivre un parcours pré-enregistré du premier niveau en appuyant sur la touche 5 au moment précis où le plombier saute pour éviter un obstacle. Seul le timing compte, ce qui permet de faire payer jouer plusieurs millier de têtes blondes en même temps.
Les deux fournisseurs de télévision par satellite de l’époque, Canal Satellite et TPS, ne manquèrent pas non plus de proposer des chaines entièrement consacrés aux jeux vidéos par contrôle audiotel, telles que LudiTV et PlayJam.
C’est ainsi qu’à partir de bonnes idées et d’une intention de départ assez noble (faire en sorte que la télévision ne soit pas qu’un divertissement passif), l’appât du gain et les perspectives de grosses quantités d’argent facile ont tôt fait de pourrir le concept et de susciter un ras-le-bol des téléspectateurs (et surtout des parents !). Une loi fût même votée pour interdire la promotion de numéros audiotel surtaxés à destinations des enfants sans nombre d’avertissements aux parents.
Ce fut une sorte de Krach de la télévision interactive en France. Depuis le début des années 2000 c’est la traversée du désert pour le genre. Il faut dire que la montée en puissance d’internet dans les foyers relègue rapidement la télévision à un divertissement secondaire et chaque chaine y va de son portail web thématique pour assurer sa présence dans ce nouveau média interactif par essence.
Et maintenant?
Est-ce pour autant que la télévision interactive ne reverra jamais le jour ? Pas si sûr ! Nous vivons actuellement une toute nouvelle mutation du divertissement, fruit du mélange de la télévision, d’internet et des appareils mobiles. On parle désormais de deuxième écran et les grandes chaines commencent (en tâtonnant) à fournir du contenu supplémentaire au programme en cours de diffusion, à permettre aux téléspectateurs de répondre aux questions du jeu télévisé… Le tout directement sur son smartphone ou sa tablette. Nous n’en sommes pas encore au retour du jeu vidéo en direct à la télévision mais pas loin. On peut imaginer un dessin animé du genre Dora L’Exploratrice où l’enfant pourra en temps réel participer et jouer de façon synchronisée avec le programme. Disney a d’ailleurs déjà tenté l’expérience au cinéma avec une version spéciale de La Petite Sirène et propose un mode “second écran” sur ses derniers DVDs.
Pour les plus grands, on peut aussi imaginer des applications en réalité augmentée qui permettent d’interagir avec sa télévision simplement en visant cette dernière avec la caméra de son appareil.
Il est donc possible que la télévision interactive puisse faire son grand retour. Pour peu que les créatifs aient de bonnes idées et que les producteurs ne recherchent pas le profit à outrance…
Et vous, qu’aimeriez-vous voir comme jeu interactif à la télévision ?
Commentaires
Merci pour cet article.
Je cherche le nom d'une sorte de télécommande utilisée par les chaines publiques dans les années 90.
Lors de certaines émissions de quizz, l'animateur posait une question et les téléspectateurs équipes de cette télécommande pouvaient y répondre en la pointant vers la TV dans une zone en bas à droite. Cette zone ressemblait à un rectangle très allongé horizontalement et qui clignotait rapidement du blanc au noir.
Vous souvenez-vous ?
pH
Il s'agit sans nul doute de la carte Multipoints. Celle-là même qui est décrite dans ce dossier.
Après QUIZAKO en 1992 le groupe public devenu France Télévision avec France 2 et France 3, et de nombreux autres partenaires, Europe 1, Europe 2, Télé 7 Jours, les 3 Suisses, Quick... décidait de relancer rapidement une autre interactivité avec la carte Multipoints vendue 199F. Le principe était sensiblement le même. Un signal optique apparaissant en bas de l'écran lors de certains programmes par exemple lors du jeu Que le meilleur gagne animé par Nagui. Il fallait alors orienter la carte Multipoints vers l'écran tv et répondre à la question posée. Les points cumulés rapportaient cette fois ci des réductions sur des produits vendus par les partenaires de l'opération. Le succès ne sera pas au rendez-vous et la carte Multipoints quittera les écrans...
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