[GC 2015] Etat des lieux du jeu vidéo français : entretien avec Old Skull Games et Moving Player

Faire du jeu vidéo en France

Après avoir découvert Rakoo & Friends, nous avons voulu en savoir plus sur la manière de travailler des studios Français présents à la Gamescom.

Manager son équipe

Nous avons interrogé Nicolas mais également Luca Benevolo (CEO) de Moving Player sur leur façon de travailler sur leurs projets et les difficultés qu'ils ont pu rencontrer.

Old Skull Games se présente comme un studio de pirates. Une thématique qui représente l’esprit de l’entreprise, son ADN old school et très retro. En témoignent les locaux : « nous avons plein de vieilles consoles partout ! ». Ils pensent d’ailleurs investir prochainement dans une borne, « mais c’est un budget à prévoir ».

La piraterie, c’est une thématique qui s’est dessinée après une discussion entre Nicolas et son frère. Celui-ci lui demandait ce qu’il voudrait comme dynamique de gestion : une armée, ou des pirates ? « Nous voulions conserver notre esprit grande gueule, notre liberté et nous voulions une boîte jeune et dynamique. Nous avons quand même une hiérarchie, comme les pirates, mais on est tous de fortes têtes.»

Cela se ressent au niveau du management, « une hiérarchie participative, toute l’équipe prend part aux grandes décisions de la boîte. Que ce soit sur notre positionnement, nos opportunités, la politique salariale, les finances en général. C’est hyper transparent ».

Cette dimension participative se ressent aussi au niveau de la conception. Les idées sont souvent débattues en amont par toute l’équipe. Les game designers s’occupent ensuite de la formalisation. Chez Moving Player, la conception macro est également partagée : en pré-production, des sessions de brainstorming sont organisées pour que l’équipe réfléchisse, propose et vote pour des idées.

Les studios travaillent en « sprint », des sessions de travail issues des « méthodes agiles ». Chez Old Skull Games ils durent trois semaines : « les trois/quatre première jours, on réfléchit tous ensemble, on décortique et on analyse notre travail. Ainsi, quand on attaque, on a tous une vue globale de ce qu’il y a à faire et on évite de nombreux soucis.» Chez Moving Player, les méthodes de management sont similaires, avec leur spécificité : les sprints ne durent par exemple que deux semaines.

Nicolas observe deux avantages à ce management participatif : un gain de temps, et un gain dans la cohésion de l’équipe « On est tous hyper impliqués et motivés ». Il nous explique même que « les graphistes et les développeurs connaissent très bien le vocabulaire du game design, vu qu'ils y participent et qu’ils aiment ça.». Pour lui c'est une dimension très importante qui permet d’améliorer les productions. L'équipe à une meilleure vision macro et chaque pôle pense en global. 

Le studio valorise la variété des horizons. « On a eu chacun des expériences différentes dans le jeu vidéo, sur du mobile, sur de la console, du triple A ». Il en est de même chez Moving Player, Philipe Longère (CTO) a travaillé longtemps à l’étranger, les développeurs ne sont pas tous issus du milieu du jeu vidéo.

 

Monter et faire vivre sa structure

Mais ces méthodes qui fonctionnent bien en théorie sont-elles aussi efficaces en pratique ? Nous nous sommes demandé comment Old Skull Games était allé au-delà des contraintes inhérentes à la création d’un studio.

Aujourd'hui les studios sont en bonne santé, mais ils ont taversés des periodes difficiles. Nicolas raconte : « j'ai failli arrêter Old Skull. C'était très compliqué, j'avais des salaires impayés. Je vous épargne le côté larmoyant, mais c'était dur pour nous, ça ne faisait que commencer. ». Heureusement, l'équipe est soudée et ils ont continué à s'accrocher pour finir par voir le bout du tunnel grâce à un projet qu'ils ont réussi à obtenir.

Nicolas nous explique qu’ils voulaient conserver leur esprit et leur liberté, et qu’il y avait une réelle volonté de « faire [leur] jeu comme des grands, le sortir comme des grands et gagner [leur] vie grâce à cela ».

Mais la réalité s'avère parfois différente de ce que l'on imagine. Première complication rencontrée : un retour en France difficile. Pas de chômage, mais des sommes importantes à sortir pour la création de l'entreprise. Sans rentrée d’argent, la situation est mal vécue par l'équipe. Le studio finit par bénéficier tout de même d’une subvention, « le CNC  nous a bien aidé à nous lancer.». Moving Player, a quant à lui reçu une subvention de la BPI.

Cette aide leur a permis de monter l’entreprise et d’achever le projet Yslandia. Des aides et subventions comme celles-ci peuvent parfois donner un bon coup de pouce aux studios. Mis à part le problème du chômage, Nicolas considère que créer le studio n’a pas été si compliqué : « Je n’ai pas ressenti de grosses contraintes à monter le studio même en France. On dit souvent qu’au Québec c’est génial, qu’il y’a le crédit d’impôt. Mais c’est réservé aux structures d’une certaine taille. En France aussi il y existe un crédit d’impôt, même s’il est de moindre importance.»

Les aides comme celle du CNC sont selon lui facilement accessibles, et la scène indépendante est une sphère plus privilégiée qu’au Canada par exemple. « Ce que j’aime en France, c’est qu’il est plus facile d’exister en tant qu’indépendant dans la communauté locale qu’au Québec. Tu rencontres des gens issus du jeu vidéo, la plupart viennent de gros studios AAA, tandis qu’en France tu rencontres beaucoup de monde issu de l’indé, on est moins étouffés par les gros studios.». La solidarité est plus intéressante en France du fait de ce regroupement et de cette petite communauté qui se forme et s'entraide.

Old Skull Games s'est entouré d'Imaginove, pôle de compétitivité du numérique de la région Rhône Alpes et d'Only Game, une association locale. Nous rappellerons l’importance du rôle de ces associations dans la valorisation de la culture vidéoludique et le soutien aux studios.

Une autre complication est apparue une fois le projet terminé, complication que Moving Player a aussi vécu : comment sortir le jeu et être visible ? Nicolas nous explique que leur reflexion au studio a tout de suite été : « on va faire un budget marketing, un budget comm... Mais on n’avait pas l’argent, donc on s'est dit qu'on allait prendre un éditeur".

Le bilan pour le studio est clair : « Heureusement qu’on a eu un éditeur. On est très contents d’avoir fait ce choix ». Old Skull Games avait fait « all in » sur Rakoo et n’avait pas vraiment de plan B. Leur projet suivant, une suite de Rakoo dans un univers différent, et ne tenait pas compte de  « l’éventuel échec du jeu. ». Rakoo sur mobile ne s’est pas très bien vendu, donc la suite spirituelle est tombée à l’eau. Mais le studio a su se relever. 

Malgré cette expérience, le studio n'a rien contre le fait de reitérer le choix d'un éditeur « On préfère travailler avec un éditeur, rationnaliser, avoir certaines contraintes et parfois sacrifier un tout petit peu de notre liberté. On s'est rendu compte que l'on s'amuse plus que si l'on est dans la crainte tout le temps. ». Nicolas insiste, « on a vraiment rationnalisé notre business » et il ajoute que « l'éditeur n'est pas le diable, les relations peuvent très bien se passer ». Pour un studio ce partenaire peut-être très important.

Durant leur période difficile, ils ont commencé à faire des « Work for Hire », et de la presta comme Moving Player afin de faire rentrer de l'argent. Old Skull Games a par exemple fait du dessin-animé, ou des jeux de A à Z pour des « clients »Moving player est également prestataire en développement dans plusieurs domaines parfois assez éloignés du jeu vidéo. Un passage obligé pour assurer la sécurité de l'entreprise et les salaires, et un choix qu'ils ne regrettent pas.

 

Passer du mobile à la console

Le marché du mobile est saturé et la question de la visibilité que l’on évoquait avec Nicolas est d’autant plus pertinente sur ce support. Mais aujourd'hui, Steam pousse la tendance sur PC. Plus il y a de titres, plus le risque d'être perdu dans la masse se fait sentir. De nombreux studios ont commencé le mobile en espérant un jour travailler sur consoles.

Moving Player s'est d'abord fait la main sur iOS et Android avant de pousser la porte des consoliers. Pour Old Skull, la stratégie fut différente. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils se sont associés pour le portage de Rakoo. Le passage à la console n'intéresse pas le studio en terme de compétence : « On ne fait pas vraiment un passage console en tant qu'Old SKull Games. Nous voulons développer nos compétences sur le développement mobile/tablettes ».

Pour la partie console, ils travaillent en coproduction et désirent en interne continuer à travailler sur le mobile. Ils ont appréciés travailler avec Moving Player et pensent réitérer l'expérience. Ce modèle de coproduction peut permettre de développer des projets à moindre coût et avec des risques mesurés. Moving Player est très satisfait de l'expérience également, tout à fait à l'image de ce qu'ils avaient en tête en montant leur projet Xport.

Moving Player est donc très satisfait de la collaboration avec Old Skull Games et ils sont dans la même optique. « On va certainement continuer de bosser avec Old Skull Games. Nous avons de bonnes compétences techniques, mais on manque de créativité.».

Nous avons également demandé à Nicolas quelques conseils pratiques à donner à quelqu'un qui monte son studio. « Le nerf de la guerre aujourd'hui dans le jeu vidéo, c'est la visibilité ». Cette notion, elle est dans toutes les bouches. Les jeux, selon les supports, sont souvent noyés dans la masse. « Il ne suffit plus de faire un bon jeu. Sur console c'est un peu plus facile de percer, car on peut tenter d'avoir un featuring du consolier. Sur mobile, PC ou Steam c'est vraiment très dur de se faire une place."

Nicolas ajoute qu'il faut « rationaliser l'approche que l'on a, sur son positionnement, sa visibilité, car il n'y a rien de plus frustrant que de sortir un jeu dans lequel tu mets tes tripes, et de faire un bide. ». Heureusement, malgré les difficultés et le temps passé avec les prestations, les deux studios conservent leur motivation et ont trouvé le temps de bosser sur des projets qui leur tenaient à coeur.

 

De futurs projets, signes d'une bonne santé.

Un joli stand pour présenter les deux studios et Rakoo

Malgré les problématiques rencontrées, les studios redoublent de motivation et trouvent les moyens de passer outre ces difficultés. Aujourd'hui les deux studios ont des projets, en collaboration mais aussi avec d'autres partenaires

Nicolas chez Old Skull Games nous rappelle qu’ils ne seraient plus là sans leurs partenaires. S'ils paraissent en bonne santé aujourd'hui c'est en partie grâce à eux. Maintenant, Old Skull Games possède une réflexion business plus poussée. Ils développent donc une « marque » qui va s'appeler OGS Mini, qu'ils vont utiliser « comme laboratoires pour [leurs] petits jeux ». Désormais, le studio veut « maîtriser ce qu'il montre » mais il continue à s'amuser et à faire des choses, même en dehors de son positionnement. Le projet Kung Fury, court-métrage pour lequel ils ont réalisé une partie de dessin-animé, en est un bon exemple : « on ne pouvait pas passer à côté de ça, c'est old school, c'est rétro. On a envie de revenir au retro. Sur Rakoo cette dimenson est plus discrète, même s'il emprunte des mécaniques aux jeux du genre. ».

Durant notre entretien, Nicolas a évoqué plusieurs jeux en réflexion actuellement chez Old Skull. Nous avons noté quelques idées et projets qui semblent très intéressants :

  • un gros projet qui va bientôt être annoncé, fait intervenir des américains travaillant hors du jeu vidéo. Ils veulent investir dans un jeu de gestion à la Crazy Factory ou Game Dev Story. Avec une petite partie de gestion, beaucoup d'humour et des graphismes dessin animé, l'idée semble prometteuse.
  • un deuxième projet orienté arcade, cette fois en co-prod avec un éditeur, prendrait la forme d'un free to play mobile dont on ne saura malheureusement grand chose pour le moment.
  • Fury, c'est le « dream-project » de la boîte. Une idée existant depuis 4 ans, qui n'a vraiment rien à voir avec Kung Fury même s'il est possible que « maintenant, les gens fassent l'amalgame». L'ambition du jeu était de renouveler l'esprit du jeu Street of Rage, mais en 3D. Avec une ambiance à la Snatch ou Rock'n Rolla, c'est à dire humour anglais et auto-dérision. Fury proposerait un gros lot d'anti-héros « barrés et violents, ainsi qu'une grosse emphase sur les ennemis, qui auraient un comportement de horde, le tout avec une mise en scène cinématographique. » De belles idées, mais un projet qui est en « pré-pré-prod ». Le studio est en train de pitcher le jeu.

Moving player nous a aussi exposé ses futurs projets, avec au programme :

  • Level 22, un jeu console (PS3/PS4/PSVita, Wii U, XbOne) au pitch fort intéressant et à la direction artistique très sympathique. Nous avons hâte de pouvoir tester le prototype du jeu.
  • Wizdom, un match 3 sur console 3DS 

« On a un projet de jeu console super gore, un mélange entre Hotline Miami et Django Unchained ».  Luca n'a pas voulu en dire trop, « c'est encore un peu tôt. On en parle dans notre devblog »Nous savons d'ores et déjà que Moving Player souhaite s'associer à ce projet, réaliser la partie technique et collaborer avec un autre studio ou un prestataire pour le concept et la direction artistique.

Le studio a déjà évoqué le nom d'Old Skull Games, nous aurons donc peut-être à faire à une nouvelle co-production des deux studios. L'univers tient beaucoup à coeur à Moving Player : « l'univers est très Wild Wild West, cela se déroule pendant la Guerre de Sécession en Amérique du Sud. Avec des supra méchants un peu caricaturaux, méga sanglants, le jeu se veut le plus fini et réaliste possible en terme d'effets » . L'utilisation des armes à poudre, et les giclées de sang devraient être monnaie courante dans ce nouveau projet.

Auteur : Alison

Chroniqueuse
Culturophage invétérée, je nourris le doux espoir de travailler en tant que Game Designer. Le jeu vidéo est une belle histoire à écrire, à vivre et à raconter ! Retrouvez moi sur Twitter : @Poli_ssonne

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