5 mascottes qui ont tué (ou failli tuer) leur créateur

Si vous êtes un éditeur de jeux vidéos dans les années 80/90 et que vous voulez cartonner, il vous faut une mascotte. Identifiable sans aucune équivoque, adaptable à toutes les situations, la mascotte est un outil de publicité economique et peu contraignant. La première du genre, Pac-Man, est née au début des années 80. Le jeu éponyme sera le premier à vous confier les commandes d’un personnage qui a un nom, et donc une identité. Vous n’êtes plus “un type”, ou “un vaisseau”, vous êtes Pac-Man. L’engouement pour ce personnage n’était absolument pas prévu, et d’ailleurs la boule jaune deviendra très vite le symbole universel du jeu vidéo. De ce fait, aujourd’hui, peu de gens l’associent encore à son créateur, NAMCO, tant elle représente avant tout le symbole d'une génération, et le jeu d’arcade dans son ensemble.

Mario, première mascotte profitant durablement à son créateur, devint elle aussi célèbre presque par accident. Elle marquera le début de l’ère des grandes mascottes populaires, et ouvrira une brèche dans laquelle viendront s’engouffrer nombre de compagnies jalouses du succès du plombier. Mais entre Mario, le précurseur, et Sonic, qui sera la dernière mascotte de l'âge d'or, toutes sortes de designers plus ou moins responsables se sont lancés dans l’aventure. Cet article est là pour vous rappeler que si le ridicule ne tue pas, il peut quand même réussir à vous faire perdre votre travail.

 

Alex Kidd

L’idée

Si on ne peut pas vraiment lui donner le titre de “mascotte”, la première égérie de SEGA dès 1985 était connue sous le nom d’Opa-Opa. Ce mélange improbable entre un vaisseau, une poule et les ailes de Super Mario avait pour mission de ramener la paix dans la Fantasy Zone, le long d’une série de jeux éponymes entamée sur borne d'arcade. Quand Mario débarque, SEGA se rend compte que son gallinacé de l’espace est trop impersonnel pour suivre la mouvance : difficile de le faire parler, impossible de lui donner des émotions... Si le plombier est devenu célèbre plus ou moins malgré lui, SEGA décide pour sa part de calibrer sa mascotte pour qu'elle devienne immédiatement populaire. Elle confie le bébé à deux de ses développeurs stars, Kotaro Hayashida et Rieko Kodama, qui auront pour mission de condenser tout ce qu’aiment les jeunes en un seul personnage.

Alex Kidd arrive sur la Master System en 1986
Alex Kidd arrive sur la Master System en 1986

Le résultat

Quoi de mieux qu’un enfant-singe hypercéphale mangeant du riz aux pruneaux pour fédérer toute une génération de joueurs? Si le premier jeu (inclus dans la Master System) recevra un accueil favorable, il est moins évident de dire que la mascotte a été comprise par les joueurs. Censé être un hommage à Bruce Lee avec des attributs elfiques, le personnage, trop japonais et infantilisant, survivra à peine 5 ans avant d’être remplacé par Sonic. Le hérisson, plus "universel" et adolescent, colle mieux à l’image voulue par SEGA pour sa MegaDrive. Il est à noter que le nombre important de mauvais jeux portés par Alex Kidd a forcément accéléré sa chute, mais qu'à défaut d'être l'image d'une marque il reste pour beaucoup l'icône d'une époque, celle de la Master System.

 

 

Zool

L’idée

Une fois Sonic dans la partie, le créneau commence à devenir sérieusement bouché pour tout éditeur qui voudrait propulser un de ses personnages au panthéon. Pourtant, l’industrie du micro-ordinateur (qui a le vent en poupe) ne compte pas se laisser distancer. En 1992, Amiga demande à Gremlin Graphics (futur Infogrames) de créer pour son ordinateur Amiga 500 un personnage qui fasse de l'ombre au hérisson bleu. Aux commandes d'une toute petite équipe, c'est Georges Allen qui relève le défi.

Zool: Ninja of the “Nth” Dimension debarque sur Amiga 500 en 1992
Zool: Ninja of the “Nth” Dimension debarque sur Amiga 500 en 1992

Le résultat

A dire vrai, Zool n'est pas à proprement parler un échec au moment de sa sortie. Courses effrénées, musique entraînante, Zool : le Ninja de la dimension N rencontre même un tel succès au démarrage que Gremlin envisage immédiatement d'étendre sa diffusion. Et c'est là que le bât blesse : Amiga n'a aucun droit sur le personnage, qui se voit bientôt apparaître sur Atari, Game Boy et même MegaDrive ! Bien loin de concurrencer Sonic, le ninja perd son identité propre pour devenir un personnage "cool" (mais générique) de plus. Gremlin, cherchant à maximiser le profit avec son héros, ira jusqu'à créer un jeu en partenariat avec Chupa Chups, ce qui lui fera évidemment beaucoup de mal. Sans parler du classicisme et du manque d'intérêt de ce jeu de plates-formes, une mascotte se relève rarement d'un contrat avec l'agro-alimentaire. Avez-vous jamais imaginé Mario au pays du jambon ?

 

 

 

Rocky Rodent

L'idée

Dans les années 90, une fois qu'il fut intégré que propulser une mascotte était devenu hasardeux tant le marché regorgeait de ces héros d'un soir, seuls quelques éditeurs particulièrement présomptueux osaient encore se lancer. Ce fut le cas d'IREM, éditeur japonais au succès jusqu'alors jamais démenti depuis son travail sur les bornes d'arcade. Son raisonnement fut assez similaire à celui de SEGA bientôt dix ans auparavant : pour qu'une mascotte fonctionne, il faut y greffer tout ce qui est cool pour les jeunes. L'objectif d'IREM? Aller chercher la popularité sur les terres de la Super Nintendo.

Rocky Rodent sort en 1993 sur Super Nes
Rocky Rodent sort en 1993 sur Super Nes

Le résultat

Rocky Rodent sort en grande pompe, et à l'image d'Alex Kidd c'est un monstre de Frankenstein vidéoludique, un recomposé de clichés supposés plaire aux adolescents. Avec sa dégaine de loubard, sa mauvaise éducation et son faux air de Taz, il lorgne sur le succès de groupes musicaux comme Metallica ou AC/DC, ainsi que sur les cartoons en vogue. Quant au scénario, il suit la même pente savonneuse de l'allusion lourdingue : Rocky, le rongeur, mange chez Balboa, le restaurateur (clin d'oeil - coup de coude - tu vois ce que je veux dire) quand soudain sa fille se fait enlever. Rocky accepte alors d'aller la sauver en échange d'un buffet à volonté, ce qui est probablement la récompense la plus nulle de toute l'histoire des demoiselles en détresse. Petit détail amusant, IREM était connu pour sortir des jeux à la difficulté atroce, et celui-ci (avec son gameplay orienté autour des coupes de cheveux du héros, il fallait bien inventer quelque chose) ne fit pas exception. Malgré ses clins d'oeil appuyés à la pop culture, ce jeu enterrera littéralement IREM dont les équipes quitteront progressivement le navire à peine un an après le flop de leur rongeur. L'éditeur sera finalement racheté en 1997 par le fabricant d'écrans Nanao.

 

 

 

Titus the Fox

L'idée

Quand on fait une liste de choses ridicules et qui se sont produites dans les années 90, on peut avoir la certitude que l'on trouvera une perle juste sous nos pieds, dans l'hexagone. Au début des années 90 donc, le Français Titus (connu entre autres pour le superbe Dick Tracy sur MegaDrive) décide lui aussi de surfer sur la culture populaire, avec par exemple une adaptation d'Un Indien Dans la Ville en partenariat avec TF1. C'est justement ce partenariat avec la chaîne de télévision privée qui fait réfléchir l'éditeur : pourquoi se fatiguer à créer une mascotte de toutes pièces, alors qu'il y en a déjà tellement à la télévision?

Les deux jeux sortent courant 1991, saurez-vous retrouver les 7 différences?

Le résultat

Si Titus the Fox ne vous dit rien, c'est qu'en France vous avez eu droit à : Lagaf': Les Aventures de Moktar — Vol 1: La Zoubida. Le jeu s'inspire d'une chanson de l'humoriste très en vogue à cette époque, et vous propose d'incarner Moktar dans ses aventures autour du monde. Sauf que Moktar, dans la chanson de Lagaf', est une espèce de boss final du cliché raciste, une super-entité de la blague de mauvais goût comme on savait les faire en France à l'époque. Ambitieux mais réaliste, Titus adapte son jeu au marché mondial en remplaçant le bon Moktar par sa mascotte, un renard. Il est étrange de noter que le jeu dans sa version américaine a extrêmement bien marché, et qu'aujourd'hui encore de nombreux fansites et un éditeur de niveaux non officiel lui sont consacrés. Côté Français par contre, pas de Volume 2 pour les aventures de Moktar, qui sombrera dans l'oubli tout comme Titus quelques années plus tard.

 

 

 

Awesome Possum

L'idée

Que les plus jeunes d'entre nous le sachent, Atari n'a pas terminé sa course aussi brillamment qu'il l'avait commencée. A la fin des années 80, il est empêtré dans une gigantesque bataille judiciaire face à Nintendo : Atari et sa branche TENGEN seront condamnés à deux reprises pour avoir piraté la NES dans le but de diffuser des jeux pirates dans le dos de l'éditeur Japonais. Début 90, après avoir volé et copié Nintendo, TENGEN ne voit évidemment aucune raison de tirer les leçons de son échec et cherche un moyen facile de regagner en popularité. Très logiquement, il se tourne vers SEGA. Il eût été compréhensible qu'ils essayent de s'inspirer de Sonic comme tant d'autres développeurs avant eux. Mais en temps de crise, l'investissement était trop grand. La solution choisie fut plus radicale : décalquer Sonic, en changeant seulement l'animal.

Awesome Possum... Kicks Dr. Machino's Butt sort sur MegaDrive début 1993
Awesome Possum... Kicks Dr. Machino's Butt sort sur MegaDrive début 1993

Le résultat

Même scénario, même gameplay, sans la manière. S'il a su faire d'excellents jeux à l'aube de la NES, cette époque est belle et bien révolue pour TENGEN qui n'arrivera à produire qu'une pâle copie des aventures du hérisson bleu, dans un environnement unique sur treize stages. Oui, vous avez bien lu, treize niveaux quasi-similaires le long desquels vous devrez ramasser divers déchets à recycler pour coller à la pseudo-morale ludique d'un soft bâclé à la difficulté démentielle. Car le pitch est le même que chez SEGA : il faut lutter contre un méchant robotique qui menace la nature. Mais évidemment, ce n'est pas le seul fait marquant. Quand Sonic incarne la vitesse, l'attitude "cool" et un semblant de rebellion, que vous inspire un opossum ? Sur l'ensemble de la Création, sur la multitude d'animaux qui s'offrait à l'éditeur, il a choisi l'un de ceux qui, probablement, évoquait le moins de choses à un public occidental. Petit bonus : le rongeur parle sans cesse et sa voix est insupportable. TENGEN sera absorbée dès 1993 (soit quelques mois seulement après sa débâcle) par Times Warner.

 

 

Il ne faut jamais oublier que les mascottes sont quasiment toutes nées de contraintes techniques (c'est même criant pour Mario) dans une situation oligarchique pour les éditeurs. Au fil du temps, il est devenu de plus en plus compliqué d'imposer une icône forte au milieu des dizaines d'éditeurs (comptant autant de héros) peuplant un marché saturé. D'autre part, ces personnages sont rarement la propriété d'une firme : si Lara Croft est bien une mascotte du jeu vidéo, difficile de la relier directement et sans équivoque à une seule marque. On ne crée pas une mascotte, ce sont les joueurs qui la font, et Sonic sera la seule exception à cette règle. Depuis lors, la formule est restée inchangée : si votre jeu est bon, vous avez une chance de voir naître une mascotte. Pikachu étant le dernier exemple en date.

Adrien Martel 

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Commentaires

Portrait de Vincent Elmer-Haerrig

Très sympa cette petite chronique !

Portrait de Patrick et Josée

C'est sans conteste une excellente rétrospective rédigée par un auteur dont la plume et les connaissances ont depuis longtemps déjà fait leurs preuves ! Toutes nos félicitations, Adrien !

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